Pour Céline, la vie est une histoire de rencontre. Celle, petite, avec les éducateurs de prévention au local de La Découverte, son quartier. Ils lui ont tant apporté, jusqu’à l’envie d’exercer leur métier. Celle des profs en quartier prioritaire, qui se donnent du mal pour insuffler aux jeunes la confiance en soi et l’envie d’y croire. Reconnaissante et fière de son parcours, Céline est aujourd’hui éducatrice professionnelle, bien déterminée à transmettre à son tour le sens de la solidarité et du partage.
Nom : Thomas
Prénom : Céline
Âge : 21 ans.
Signes distinctifs : Je suis déterminée, ouverte d’esprit, authentique et honnête.
Engagements et projets : Je suis éducatrice spécialisée, c’est un engagement social énorme. Je mets ma personne à contribution des autres.
Présentation : Peux-tu nous raconter ton histoire, l’endroit où tu as grandi, où tu habites ?
J’ai grandi dans le quartier de La Découverte, quartier prioritaire de Saint-Malo. Vers mes 12-13 ans, j’ai déménagé dans une maison, toujours en HLM. À une époque, le quartier pouvait être chaud, mais cela a changé, avec la rénovation. Visuellement, c’est plus joli qu’avant. Personne n’est inconnu dans le quartier, il y a toujours du lien à faire entre les personnes. Gamine, c’était bien. C’est facilitant pour entrer en relation. Mais ensuite, quand tu fais ta vie, c’est compliqué. Il n’y a pas tellement de secret. J’avais 17 ans quand je suis partie de chez mes parents. J’ai été en foyer de jeune travailleur pendant un an à Saint-Malo. Je la décris comme la meilleure année de ma vie. Côté mixité sociale, j’étais servie, avec des mères isolées, des mineurs non accompagnés, des travailleurs en situation de handicap, des jeunes qui relevaient de l’aide sociale à l’enfance. C’était mon cas aussi. Ça a été une richesse, de partager tout ça, de vivre en collectif, d’être autonome à la fois.
« On ne grandit pas tout seul. Chacun met sa touche de couleur… »
Projets et engagements : Quels sont tes projets personnels et professionnels ? Es-tu impliquée/engagée dans ton quartier ou ailleurs ?
Je suis éducatrice spécialisée. C’est grâce aux éducateurs de prévention de La Découverte. Quand j’étais petite, j’allais tout le temps au local, je faisais plein d’activités. Je me faisais beaucoup d’amis. Ils m’ont aidée énormément dans ma vie. Je me suis dit que c’était énorme, ce qu’on pouvait faire en tant que personne pour les autres. Ça m’a donné envie de faire ce métier. Ils ont été et sont toujours présents dans ma vie. Je leur dois beaucoup. C’est une histoire de rencontre. C’est très important, je le vois tous les jours dans mon travail. Une rencontre, c’est une richesse, tu peux apporter énormément et on t’apporte énormément. Je suis partie à Rennes pour les études, trois ans de formation, après le bac. J’étais aussi en quartier populaire à Villejean. C’était cool, toutes les nationalités qui cohabitent et aussi le fait d’être un peu incognito. J’ai fait un stage en foyer, en MECS (Maison d’Enfants à Caractère Social), et ils m’ont repris pour travailler cet été et j’ai signé un CDD. Je suis contente de revenir à Saint-Malo. C’est bien de prendre de la distance avec le quartier, mais c’est bien de revenir à un moment donné, et de dire aussi ce qu’on est devenu. C’est une fierté. Peu importe d’où l’on vient, on peut devenir qui l’on veut. Tout le monde peut s’en sortir même si on vient d’un quartier.
« C’est une histoire de rencontre. C’est très important, je le vois tous les jours dans mon travail. Une rencontre, c’est une richesse, tu peux apporter et on t’apporte énormément. »
Tu fais partie d’une génération traversée par des mouvements sociaux très forts, Black Lives Matter, les Marches pour le climat, #MeToo, etc., qu’est-ce que ça t’inspire ?
Nous sommes une génération de mouvement et c’est important de manifester, de montrer qu’on est solidaires. Sur les réseaux, c’est facile de montrer un engagement pas forcément physique. C’est bien, cette liberté d’expression. Les gens peuvent déposer des choses, se sentir soutenus à distance. On est une génération où la sexualité est de moins en moins tabou. On nomme et on dénonce plus de choses, et je trouve que c’est important de parler des choses pour ne pas qu’elles se reproduisent. Il faut en être conscient.
Être jeune en 2021 : Pour toi, qu’est-ce que ça veut dire d’être jeune en 2021 ? Comment te sens-tu, comment vis-tu la crise sanitaire ?
Je suis mitigée. Je trouve qu’il y a beaucoup de délinquance dans la jeunesse. Ça a toujours existé, mais j’ai l’impression qu’avant, la vente de produits illicites, c’était pour s’en sortir, et aujourd’hui les jeunes choisissent beaucoup la facilité. Ils font ça pour exister aux yeux des autres.
La crise sanitaire, c’était compliqué. J’étais dans mes études, dans 23 m2 toute seule, sans lien. On n’a pas eu de remise de diplôme. Il n’y avait pas de symbolique. On avait besoin de se réunir, de faire une grande fête, de marquer la fin de ces trois ans de formation intense, c’est ce qui permet d’avoir des souvenirs. Il n’y avait rien. Pas de distraction. Les centres d’intérêt, tout est bloqué. Là, je suis dans le travail, ça va, mais quand on voit qu’il faut se faire vacciner pour avoir le droit à des choses, qu’il n’y plus de secret médical, ça part dans tous les sens. C’est compliqué d’être jeune dans cette ambiance-là, avec toutes ces restrictions. Il y a des gens qui n’ont pas encore été en boîte de nuit, ou boire des coups avec leurs potes…
As-tu un rêve, une raison d’espérer pour toi/pour les autres ? Est-ce qu’il y a des choses qui devraient changer ?
J’aimerais bien partir six mois comme volontaire au Maroc dans un orphelinat, et faire un tour du monde en voilier, peut-être ? Pour le monde, je souhaite plus de solidarité, arrêter les inégalités, tout ce qui est racisme, discrimination. Une liberté sur la sexualité, les transgenres. Une place pour chacun avec les libertés et le respect de tous. C’est ce qui manque. On y arrive, mais en luttant. C’est dommage. C’est dur de faire changer les mentalités. Gandhi, Nelson Mandela. Ces gens-là ont changé le monde. Ça donne envie d’y croire, on peut tous changer les choses à notre échelle. Il faut une solidarité pour créer cela. Moi, cela me vient de mon histoire. On a été pendant 9 ans aux Restos du Cœur. Au lieu d’en avoir honte, j’ai eu l’envie de défendre ça, que ça existe, et devienne une fierté. La précarité à la fois c’est dur, mais ça apporte plein de valeurs. Quand tu galères, tu sais vraiment pourquoi tu obtiens quelque chose. Mon permis, mes études, je les ai financés toute seule. Je travaille depuis que j’ai 17 ans. C’est important d’avoir des valeurs comme ça, d’être autonome, responsable financièrement, se soucier de l’autre, partager, être reconnaissant aussi, de ce qu’on nous offre. La pauvreté permet cela. Les éducateurs, les profs, dans un quartier prioritaire, ils savent pourquoi ils sont là. Ils se sont donné du mal. Ils m’ont marqué et m’ont donné confiance en moi et envie d’y croire.
Propos recueillis par Marie Fidel