Article. Adapter les niveaux d’intervention en fonction des situations observées

En partant du principe que, selon l’article 1719 du code civil le bailleur à l’obligation de « faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail », dans cet article introductif, nous souhaitons explorer des actions permettant de réagir suivant le niveaux de difficultés dans les situations rencontrées afin de préserver, restaurer une qualité résidentielle à minima satisfaisante pour les habitants.

En s’inspirant du rapport de Didier Peyrat (2001) et des échanges avec les bailleurs et acteurs rencontrés, l’idée est de détailler de façon non exhaustive, les stratégies pour des interventions dans les espaces résidentiels en fonction de trois niveaux allant de situations les plus calmes à des situations plus tendues. Ces niveaux ne sont pas fixes, ils peuvent fluctuer en fonction de temporalités parfois très courtes (en fonction des jours de la semaine, des moments de la journée…) et être différents selon les secteurs d’un même quartier. Ces niveaux peuvent être définis et précisés grâce à des diagnostics (partie 1) qualifiant la nature et l’importance des problèmes d’insécurités.

L’objectif ici est moins de proposer de solution à long termes plutôt que de réfléchir aux réactions à mettre en œuvre afin de préserver rapidement une qualité de service suffisante pour permettre aux résidents de ne pas être pris au piège de situations.

 

Niveau 1. Une tranquillité relative : garantir le maintien de la qualité de vie par une gestion réactive et en encourageant le lien de voisinage et l’appropriation habitante. Le rôle du gardien au cœur

 

Rôle du gardien référent dans la qualité d’usage et de vie

Les gardiens, en tant qu’agent de proximité peuvent répondre aux impératifs d’une présence technique continue voire renforcée : assurer une réactivité, montrer une capacité de réponse pour marquer la présence (montrer la bonne volonté et l’engagement du bailleur dans la résolution du problème) et perturber les mésusages, rassurer les locataires.

Cependant, l’élément de départ incontournable pour s’appuyer les bénéfices de l’intervention de gardiens référents, est la garantie d’une bonne qualité de travail leur permettant d’assurer la qualité de leur mission : « des gardiens reconnus, rassérénés, formés, polyvalents et effectivement soutenus (c’est-à-dire protégés et parfois défendus) par leurs employeurs et la collectivité » (Peyrat,2001:84) et suffisamment nombreux.

Cette qualité de travail dans leurs missions passe inévitablement par de la formation des personnels de proximité à :

  • Savoir comment réagir en cas d’occupations abusives, de présence de trafics (quels comportements adopter ?)
  • Savoir-faire de la médiation sociale auprès des publics sources de nuisances et des locataires
  • Intégrer dans les missions du gardien un rôle d’animation sociale ( Soclova/Archipel Habitat) : favoriser l’appropriation des espaces résidentiels par les habitant·es, l’interconnaissance entre voisins, etc.

 

La réactivité pour un maintien de la qualité : ne rien laisser passer, ne rien laisser sans réponses

Cette réactivité, c’est assurer une qualité de gestion des espaces afin d’éviter qu’un sentiment d’abandon naisse chez certains locataires.

Afin de réussir à maintenir ce niveau de réponse, il faut travailler sur le phénomène de renoncement des agents de proximité. Mille (2021:371) nomme ainsi les situations où face à la pérennisation de certaines incivilités, dégradations, nuisances et ce malgré une intervention régulière, les agents se lassent (« à quoi bon ») et finissent par baisser leur niveau de vigilance et de réactivité.

Alors, au-delà de la mobilisation des agents, il apparait important de, dès que possible, bien identifier la source des problématiques afin qu’ils aient moins l’impression d’agir pour rien et de lutter activement (prévention, incitation, pénalisation) contre la généralisation progressive de comportements pouvant nuire à la qualité résidentielle. Enfin, même si les causes ne parviennent pas toujours à être identifiées, il est important de continuer à réparer entretenir afin d’éviter de tomber dans une forme de punition collective en laissant les espaces collectifs se dégrader. En somme l’idée est de maintenir les troubles et les atteintes dans un régime d’exceptionnalité autorisant moins une normalisation/banalisation de ces comportements et actes. Cette

 

Animer le quartier et associer les habitants pour limiter les petites nuisances

Dans ces contextes plutôt favorables, le développement d’animations sociales et culturelles de proximité (halls, abords, espaces publics) sont autant d’occasions de rassembler et fédérer les locataires, d’occuper les espaces voire d’en susciter l’appropriation, mais aussi de montrer la présence et la proximité du bailleur et des acteurs du quartier. En effet, en provoquant des situations de côtoiement avec les habitants, il est parfois plus aisé de repérer l’émergence de difficultés et d’en comprendre les ressorts. Ces informations devant faciliter la mise en place de réponse efficaces pour accompagner les résidents et répondre à leurs besoins.

Bien entendu, la diversité des ménages et la densité de l’habitat de grands ensembles sont souvent sources de micro-nuisances (bruits, déchets, encombrants…) défavorables à l’ambiance des résidences. Pour limiter ces petites incivilités, un travail avec les habitants sur la compréhension et l’appropriation des règles de vie collective par chacun·e (règlements, charte collective, etc.) peut être fait (cf.archipel habitat) :

  • Coproduction de charte de voisinage avec les habitants facilitant la compréhension et l’appropriation par chacun·e des règles collectives
  • Adapter les règlements intérieurs aux situations
  • Faciliter la lisibilité des règlements (pictogrammes, …)
  • Actions de sensibilisation auprès des habitants

 

 

Niveau 2. Une tranquillité troublée

« Avant que le territoire, l’immeuble ou le lotissement ne passe sous un autre contrôle que celui des autorités prévues à cet effet, il faut essayer d’empêcher les dynamiques encore distinctes de l’intranquillité et de la criminalité de se coaguler. Il faut séparer ce qui doit l’être. » (Peyrat, 2001 : 84-86)

 

Mettre la pression par une présence accrue par une « mobilisation inter-institutionelle visible »

Dans les cas d’occupations abusives sans présence importante de deal, il semble que les bailleurs qui font l’effort de renforcer leur présence par des actions de proximité sont ceux qui obtiennent de meilleurs résultats. Ces actions peuvent être retour ou le renforcement de la présence de gardien ou d’agents de proximité sur ces sites. Ce sont ces présences qui permettent à la fois une médiation à destination des publics provoquant les nuisances mais aussi d’accompagnement des locataires (montrer la présence et la réactivité du bailleur, expliquer les solutions mises en œuvre et celles possibles rassure les habitants). C’est l’action et la présence dans la durée qui apparaissent généralement comme fonctionnant le plus efficacement et durablement (cf. aiguillon habitat).

Ces efforts de la part des acteurs du quartier, peuvent être l’occasion de mobiliser des habitants qui, parce qu’ils ont été impactés par ces troubles, peuvent accepter d’être relai auprès du bailleur (partage d’information, de diagnostics d’usage, évaluation des actions mises en place…), de se mobiliser avec des présences accrues dans les espaces collectifs, etc. Il ne s’agit pas ici de déléguer la charge aux habitants mais bien de les associer afin de diffuser des informations, de s’assurer de l’efficacité des actions voire de les démultiplier.

Le renforcement des moyens d’actions en faveur de la tranquillité résidentielle par les bailleurs passe par :

  • L’assermentation des agents de proximité
  • La présence d’agent de proximité sur des horaires atypiques (soirs et week-ends) avec des missions directement liées à la résolution des nuisances/troubles éventuels :
    • fiche expérience de Solicité
  • Le recours à des solutions de renforcement par la mobilisation (temporaire ?) d’agents de sécurité. Par exemple, cette mobilisation peut être mise en place temporairement et ponctuellement le soir et la nuit dès les premiers signes d’occupation abusive afin d’éviter toute habituation ( vilogia)
  • La mutualisation interbailleurs des informations, voire des agents d’intervention
    • Services de surveillance et/ou groupes d’intervention interbailleurs comme à Toulouse ou à Paris →référence

 

Des contrats locaux de sécurité axés sur le logement

Avoir un axe logement dans les contrats locaux de sécurité permet de partager les diagnostics entre les acteurs, de partager les informations mais aussi d’impliquer les habitants et/ou les associations de locataire dans cette réflexion.

 

Halls occupés. Élaborer un protocole d’intervention et d’accompagnement pour agir rapidement

Dès le repérage ou l’alerte sur un hall qui est victime d’occupation voire de l’installation de petits trafics l’idée est de proposer une méthode prédéfinie d’intervention et d’accompagnement des habitants à destination du bailleur mais aussi des acteurs de la prévention, médiation, animation sociale de chacun des quartiers. Pour nourrir cette réflexion et penser l’efficacité de ces réactions nous nous appuyons sur les causes qui nourrissent le sentiment d’insécurité pour penser des protocoles d’intervention selon trois objectifs : anticiper, limiter puis arrêter et accompagner.

Dans le rapport de Peyrat (2001), il rappelle que les publics qui se sentent en insécurité ne sont pas nécessairement les plus âgés mais ce sentiment touche tous les publics (sans oublier les jeunes). Il explique que le développement de ce sentiment, même s’il est lié à des expériences (vues, vécues, subies), n’est pas la source de raisonnements irrationnels quant au jugement fait des causes/facteurs d’incivilité/délinquance/violence : « Profondément inquiets, mais pas obsédés, les résidents de logements sociaux veulent de la police et des actes, certes, mais pas seulement : on veut aussi de la prévention » (2001 : 29). Plutôt que de la répression forte, la majorité des habitants veulent des réponses mesurées et si possibles efficaces.

Anticiper

  • S’appuyer sur les agents de proximité et leurs remontées pour identifier les évolutions
    • Le dispositif « tranquillité résidentielle » de Habitat 77 avec la mise en place de correspondants de nuit (lien) ou dispositifs de médiation en horaires atypiques pour repérer les situations « difficiles ».
    • Cartographies des halls (cf. expérience SOCLOVA), suivi des actions qui pourraient être la source d’un déplacement des occupations et provoquer des déports sur d’autres espaces résidentiels
    • Centraliser le maximum d’information de sources différentes.
      • S’appuyer en plus des remontées des agents de proximité, des plaintes et informations issues du centre téléphonique ou des courriers au bailleurs (SOCLOVA)
      • Dans le quartier de Villejean à Rennes, une adresse mail est mise en place afin de centraliser toutes les informations de chacun des acteurs intervenant sur le territoire (lien)
  • Communiquer et informer en amont
    • Communiquer auprès des locataires sur les solutions possibles en cas de difficulté vécue dans les espaces résidentiels communs
    • Fournir aux résidents des informations sur la manière de réagir en cas de problème et encourageant à signaler tout incident aux autorités compétentes. (Cf. fiche expérience SOCLOVA/Orvault)
    • Afficher, partager et au besoin expliquer les règlements avec l’ensemble des résidents.

Accompagner, informer et rassurer les habitants particulièrement en cas d’aggravation des nuisances liées à ces présences/pratiques

  • Assurer du soutien et de la présence du bailleur auprès des habitants (aller-vers, écoute, présentation des dispositifs mis en œuvre)
  • Mise en place de cellule d’écoute à la fois pour signaler les incidents mais aussi pour obtenir du soutien
  • Ecouter et recueillir la parole des habitants afin de bien comprendre les enjeux afin d’adapter la/les interventions. Par exemple, Archipel Habitat, lors d’épisodes difficiles met en place des actions avec l’idée de renforcer la politique d’aller vers pour rassurer les locataires avec la mise en place du « café du facteur » ciblant les adresses les plus sensibles.
  • Dans les cas les plus graves, parer au plus urgent et garantir le maintien de services (courrier, maintenance, etc.)

Limiter, arrêter au plus vite l’occupation dès les premiers signes. Restaurer la qualité résidentielle et éviter les situations d’habituation

  • Grâce à des dispositifs de médiation, aller-vers les publics source de ces occupations (quand c’est possible) pour tenter de cesser dès le démarrage ces pratiques (rappel des règles, aide à une auto-identification des pratiques qui peuvent être source de nuisance…)
  • Renforcer la présence des agents de proximité du bailleur
    • Former les agents à savoir réagir/gérer ces situations
    • Soutenir les agents lors de la gestion de ces épisodes
  • Faire appel temporairement à des agents de sécurité pour éviter l’installation dans la durée d’habitudes d’occupation d’un hall
  • Mettre en place des dispositifs d’aménagement temporaire pour gêner les occupations ou rendre plus difficile l’accès (cf. article NMH/LMMH)
  • S’appuyer sur les dispositifs d’échange police-bailleur pour alerter notamment en cas de persistance des troubles

Bien entendu, ces quelques pistes de solutions ne sont pas exhaustives et devront être complétées puisqu’elles sont issues des échanges et des recherches faites sur la question.

 

Niveau 3. Défaire l’insécurité

Ce troisième et dernier niveau regroupe les situations d’urgence, où l’enjeu est de défaire l’installation de trafics et de groupes plus ou moins fortement constitués. Dans ces contextes très tendus voire violents, nous devons nous poser la question : où s’arrêtent les prérogatives du bailleur ? Si les bailleurs sont bien des acteurs de la tranquillité résidentielle, l’installation de trafics avec des intérêts économiques importants à défendre semble plutôt relever de problématiques de tranquillité publique et de sécurité. Cependant, même dans ses configurations, les bailleurs peinent parfois à faire intervenir les forces de police. Aujourd’hui, l’enjeu dans ces situations est particulièrement lié à la diminution des moyens humains dans les forces de l’ordre qui ne peuvent plus assurer dans de bonnes conditions leurs missions. On assiste alors à un « mouvement de délégation en chaîne »[1] de telle sorte que « les bailleurs sociaux sont soumis à une pression croissante qui les incite à réagir, parfois au-delà de leurs compétences et de leurs responsabilités »[2]. En cause, la pression légitime qu’ils ont d’un côté par les locataires et leurs salariés et, de l’autre, la pression de l’Etat et des autorités Police-Justice à investir davantage ces enjeux.

Dans cette problématique, il apparait difficile pour un regard aussi distancié que le nôtre de mettre en évidence les conditions d’un partenariat efficace bailleurs-police, d’autant que c’est un sujet à part entière que nous n’avions pas pensé traité initialement. Cependant, il semble que dans un certain nombre de cas, c’est la relation de confiance police-bailleur qui facilite le partage équitable des responsabilités entre ces acteurs dans des situations complexes. Cette confiance se joue dans le dépassement de la défiance qui peut préexister dans la relation entre ces acteurs par la promotion des actions et les efforts entrepris par chacun, par le partage des informations et des intentions/intérêts de chacune des parties (cf. Stratégie multipartenariale de tranquillité résidentielle SOCLOVA).

 

 

 

Pour aller plus loin :

 

 


[1] GOSSELIN, C, & MALOCHET, V (2017). « Jusqu’où ne pas aller trop loin ? » Les bailleurs sociaux face aux enjeux de sécurité. Espaces et sociétés, 2017/4 n° 171. pp. 127-143. https://scholar.archive.org/work/fx5z3dd3yfg5vjbxjkld7a27m4/access/wayback/https://www.cairn.info/load_pdf.php?ID_ARTICLE=ESP_171_0127&download=1

[2] Diane Valranges dans Actualité Habitat n°1146 (mai 2021)

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