Article. La prévention situationnelle pour l’aménagement résidentiel, une solution efficace ? Recensement des expériences et discussion

Assez répandue dans les pays anglo-saxons puis rapidement adoptée à partir des années 2000 en France, l’approche par la prévention situationnelle est au cœur des réflexions lors de l’aménagement des halls et abords. Cette méthode d’intervention sur l’espace physique cherche à rendre le plus difficile et le moins profitable des actes délictueux pouvant entraver la qualité de vie des habitants.

Plus qu’un inventaire des pratiques relevées, l’objectif de cette fiche est alors de parcourir les types d’aménagements mis en place et pouvant concourir à un renforcement de la sécurité des espaces résidentiels collectifs tout en apportant un regard distancié permettant d’identifier les avantages et limites de tels dispositifs.

 

Recensement de pratiques de prévention situationnelle

A travers nos rencontres, nous avons pu observer quelques exemples que nous avons ici regroupés selon les des catégories de mesures situationnelles inspirées du travail de Maurice Cusson[1] :

  1. Augmenter les risques pour les auteurs de troubles par la surveillance. Assurer une présence de personnels de surveillance (gardiens, policiers, …) dans les lieux les plus susceptibles de connaitre des infractions
    • Suppression des halls traversant
    • Veiller au bon éclairage de l’ensemble des parties communes (évite de créer des espaces anxiogènes pour les résidents). « L’éclairage dont l’intensité peut être accentuée et qui peut être associé à des détecteurs de présence dans les quartiers les plus sensibles, dans le but de décourager les actes d’incivilités et les regroupements la nuit» (Mille, 2021)
    • Vidéosurveillance
    • Garantir une bonne covisibilité. Éviter les cachettes, les angles morts dans les halls et au niveau des abords
      • Dans cette optique, le bailleur Vilogia à Nantes Nord a réhabilité des halls qui étaient exigus en agrandissant leur taille. Cette opération a permis d’améliorer la covisibilité depuis la porte d’entrée jusqu’à l’ascenseur, la luminosité en journée et donc le confort pour les habitants ( fiche vilogia)
  1. Protections physiques & contrôle d’accès (plus de difficulté)
    • Renforcement de la sécurisation des portes d’accès avec, par exemple, la création de sas d’entrée (cf. fiche expérience)
    • Contrôle d’accès dans les ascenseurs. Cette restriction des accès peut être une solution efficace, mais il peut également gêner la facilité de mouvements des résidents.
    • Résidentialiser. Ajout de limites entre l’entrée et l’espace publique. Ces limites peuvent être symboliques (muret, végétation, portillon…) et permettre de marquer une différence entre espace public et résidentiel. Ces limites peuvent être physiques (clôtures, contrôle d’accès…) pour créer un effet de sas sécurisé entre le public et le résidentiel. « En revanche, la résidentialisation, […] fait moins l’unanimité. Les acteurs soulignent le risque de ″résidentialiser″ le trafic en le rendant invisible depuis l’espace public.»[2]

 

  1. Réduire les gains. (Perturber, priver des avantages, plus de difficultés, moins de bénéfices)
    • Limitation de la taille des casquettes devant les halls pour permettre à une personne à la fois d’être abritée le temps d’entrer
    • Réduction de la surface des halls : limiter les espaces dédiés à la circulation plutôt qu’à la station (cf. expérience au Mans)
    • Suppression des stations assises protégées mais il y a également un impact sur la mobilité des personnes qui ont des difficultés de déplacement
    • Limitation des possibilités de petites cachettes potentiellement utilisées pour des produits illégaux (faux plafonds, gaines accessibles, etc.)

 

« La sécurisation par l’aménagement des lieux ne constitue qu’un aspect de la prévention situationnelle » (Cusson, 2009)

A cela s’ajoutent deux dernières dimensions qui font partie de la démarche situationnelle pour qu’elle soit complète. Celles-ci rappellent bien qu’une approche unique par l’aménagement et la sécurisation n’est pas une solution viable. Cependant ce sont ces premiers aspects auxquels se résument généralement les stratégies de prévention situationnelle. En effet, ces solutions séduisent souvent les acteurs concernés moins par leurs performances que parce qu’elles permettent d’apporter une réponse rapide et visible à ces enjeux mais aussi parce qu’elles facilitent les interventions dans un contexte de baisse des moyens humains et matériels dans la police [3].

En revanche, l’approche situationnelle étant globale, les opérations de sécurisation ne constituent qu’une partie des solutions à mettre en place afin d’éviter des actions perturbant la tranquillité publique et/ou résidentielle. Aussi, pour garantir leur efficience, il faut en parallèle « intervenir par l’insertion, l’éducation, le soutien à la parentalité des familles et des jeunes impliqués dans les trafics, par exemple avec des chantiers participatifs ou en recourant au travail d’intérêt général » [4] . L’idée est que la combinaison de l’ensemble de ces mesures favorise un renoncement à une pratique source de nuisance voire délictueuse. Effectivement, au regard des échanges avec les bailleurs, habitants ou associations, les réponses de prévention situationnelle sont généralement plus efficaces pour contrer des nuisances préexistantes lorsqu’elles sont accompagnées d’action de sensibilisation, d’animation. Ce sont ces solutions que nous exploreront dans les parties 3 et 4.

  1. Éviter de provoquer et décourager (éviter l’imitation, limiter la pression par les pairs)
    • Chantiers jeunes de fresques dans des secteurs sans qualités/délaissés
    • Médiation de rue en horaires décalés

 

  1. Informer (établir des règles claires et connues, prévenir, offrir des options)
    • Clarification des fonctions des espaces (résidentialisation, approches de la ville inclusive [5], …)
    • Aller-vers les publics qui peuvent être la source de nuisances pour comprendre et expliquer
    • Co-production avec les résidents des règlements collectifs

 

Limites de la prévention situationnelle dans les aménagements

Bien-sur, les solutions de prévention situationnelle ne garantissent pas d’effets nécessairement positifs.  Maurice Cusson (2009) rappelle que « si, à cause d’une mesure situationnelle, le crime projeté présente trop d’inconvénients ou pas assez d’avantages, il envisagera d’autres possibilités. Il pourra :

  • Commettre le même crime ou un semblable ailleurs ou autrement ; (…) (c’est le déplacement) ; [il n’y a jamais 100% de déplacement]
  • Commettre un autre délit, mais moins grave ;
  • Renoncer à son projet et opter pour une solution non criminelle (c’est l’effet préventif optimal). »

Pour ces raisons et la difficulté d’objectiver l’impact de telles mesures, il convient de garder une posture prudente quant à l’efficacité de tels dispositifs sur la baisse de pratiques source de nuisances. En prime, si on change le prisme d’analyse de l’impact de ces dispositif du point de vue des habitants, nous pouvons citer que  « par exemple, Sophie Mosser et Jean-Pierre Devars n’hésitent pas à affirmer : « (…) on ne peut pas prévoir les capacités cognitives, imaginatives qui, à partir de l’appréhension psycho-sensorielle d’un espace physique (statique et dynamique) produisent un sentiment de crainte ou un sentiment de sérénité. Elles demeurent uniques pour chaque individu, et restent essentiellement référées aux analyses sémantiques diurnes de chacun. » » (Peyrat, 2001 : 34).

En conséquence, dans ces réflexions il ne faut pas pas oublier la place des habitants. D’une part parce que « disposer systématiquement de traitements très sécuritaires quand la situation ne le justifie pas, renvoie sur le patrimoine une image de lieux insécurisants (puisque ayant implicitement nécessité ces dispositifs) préjudiciable à son attractivité. Pour être performante, une action de sûreté doit donc intervenir en fonction des problèmes réels constatés et ce, à la fois sur l’espace public et sur l’espace résidentiel. Il s’agit de bien en identifier la nature pour corriger en conséquence les configurations qui pénaliseraient le ou les immeubles : bruits, regroupements, cambriolages, trafics, dégradations, agressions, etc… sont autant de situations distinctes qui ne trouvent pas de solutions uniques mais adaptées, graduées en fonction des dysfonctionnements objectivés qui ne concernent pas de la même manière tous les immeubles du quartier. » (USH, 2013)

Si la diminution des risques de nuisances et d’un sentiment d’insécurité de la part des habitants est primordial et peut nécessiter des ajustements des aménagements des abords ou des espaces résidentiels collectifs, ces interventions peuvent aussi contraindre, limiter certaines fonctions, certains usages collectifs pouvant être source de lien social et de qualité de vie pour les résidents. C’est pourquoi, il est important de consulter, prévenir et sensibiliser les résidents de changements importants. En effet, leur implication renforce l’acceptation des mesures de sécurité.

En somme : une transversalité et une complémentarité nécessaire. Les causalités et les conséquences des difficultés en matière de tranquillité publique sont diverses. Si cette diversité implique une certaine forme de complexité, cette dernière peut se résoudre par le partage, la coordination voire la mutualisation inter services, bailleurs ou acteurs ou la mise en œuvre d’un projet partagé de territoire (cf. Partie 5). Si les instances locales (CLSPD, GPO…) contribuent à faciliter ce travail inter acteurs, elles se concentrent sur la sécurisation en reléguant la prévention et les enjeux sociaux.

 

 

 


[1]  CUSSON Maurice, 2009, « La prévention situationnelle I : la réalité et la théorie », dans : Prévenir la délinquance. CUSSON Maurice (dir.). Paris cedex 14, Presses Universitaires de France, « Criminalité internationale », p. 42-62. URL : https://www.cairn.info/prevenir-la-delinquance–9782130572381-page-42.htm

[2]  https://www.lagazettedescommunes.com/118556/une-strategie-en-trois-axes-pour-un-probleme-complexe/

[3] GOSSELIN Camille, « Le développement de la prévention situationnelle : une réponse technique à des besoins sociaux ? », Les Cahiers du Développement Social Urbain, 2018/1 (N° 67), p. 28-29. URL : https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-developpement-social-urbain-2018-1-page-28.htm

[4] Diane Valranges dans Actualité Habitat n°1146 (mai 2021)

[5] Ménard et al., 2018. Aménager sans exclure, faire la ville incluante. https://boutique.lemoniteur.fr/amenager-sans-exclure-faire-la-ville-incluante.html

Une erreur est survenue lors de la récupération des informations de l'évènement