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La vidéosurveillance est une réponse qui se répand chez un certain nombre d’acteurs de l’habitat social et ce, notamment dans les halls et parties communes des résidences sociales. Parmi les bailleurs rencontrés, cette solution n’est pas partagée et même, le plus souvent critiquée pour un rapport coûts-efficacité.
Il existe trois types de rapports des bailleurs au développement de la vidéosurveillance. Certains s’opposent au développement de cette solution (par idéologie et/ou par scepticisme). D’autres la déploient au cas par cas (exemple de la SOCLOVA) quand les derniers déploient ce dispositif plus systématiquement sur leur parc. La vidéosurveillance pose ainsi à minima des questions auxquelles nous allons chercher à répondre en explorant les résultats apportés par quelques recherches et études.
« Du côté de ses défenseurs, on veut faire de la vidéosurveillance une panacée en matière de lutte contre la criminalité. Or, si celle-ci a un effet indiscutable sur l’activité criminelle, c’est néanmoins un outil parmi d’autres qui doit être utilisé en fonction d’objectifs clairement identifiés. Quant aux opposants, ils y voient un dispositif fortement attentatoire aux libertés »[1]
Peu d’études –et souvent datées- existent pour évaluer finement ces dispositifs dans le cadre résidentiel et concernent généralement la vidéosurveillance dans les espaces publics avec des résultats souvent très mitigés ou sujets à controverse [2]. En effet, il reste, encore aujourd’hui, difficile d’évaluer précisément l’impact de cette solution dans un contexte résidentiel. Exploration.
Quelles sont les fonctions d’utilisation d’un dispositif de vidéosurveillance ?
Selon Elodie Lemaire, les objectifs assignés à la vidéosurveillance ont été, au fil du temps, de la prévention/gestion urbaine, à la dissuasion, jusqu’à des objectifs qui sont aujourd’hui plus répressifs associés à la lutte contre la délinquance.
La vidéosurveillance, un moyen de dissuasion visuelle ?
La signalisation (obligatoire) de la présence de caméras de vidéosurveillance voire leur visibilisation dans les halls peuvent être des moyens pour dissuader les individus de s’engager dans des comportements indésirables. Sachant qu’ils sont surveillés, les gens sont moins susceptibles de se livrer à des activités perturbatrices.
En revanche, il faut noter que dans le cas où l’emplacement des caméras est visible, ces dernières peuvent être la source de dégradation les rendant inefficaces et particulièrement coûteuses à entretenir. Moins dissuasifs peut-être, bien que leur présence doive être signalée, des dispositifs de vidéosurveillance peuvent être discrets voire cachés pour éviter ces incidents.
La vidéosurveillance pour fournir des preuves ?
« Il n’y a aucune étude en France qui démontre l’efficacité de la vidéosurveillance sur le plan préventif et dissuasif » mais plutôt pour « identifier des auteurs et élucider des affaires » selon Christophe Soullez, directeur de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) dans Ouest-France
Enregistrement des preuves, identification des auteurs et collaboration avec la police-justice : En cas d’incident, les enregistrements des caméras peuvent fournir des preuves visuelles de ce qui s’est passé, facilitant ainsi l’identification des personnes impliquées. Cela peut être utile pour prendre des mesures appropriées, telles que des avertissements, des sanctions ou, si nécessaire, une intervention des autorités police-justice.
Une efficacité relative ? Certains bailleurs témoignent d’une impossibilité de mobilisation systématique des images afin de ne pas dévoiler la présence de la caméra lorsqu’elle est invisible à l’œil pour éviter des dégradations (mais obligatoirement signalés par une affiche). Une question se pose : quand cela vaut-il la peine de risquer de divulguer la présence de la caméra ?
Dimension symbolique de la présence de caméra
Une fonction symbolique et subjective auprès des habitants qui ont l’impression que l’on s’occupe de leurs problématiques et qui sont rassurés par cette présence. L’USH (2017) note même une forte adhésion des locataires et des personnels de proximité du bailleur qui se sentent plus en sécurité grâce à la mise en place de ces dispositifs (à la condition qu’ils ne se substituent pas à une présence humaine).
Limites et évaluation de l’efficacité des dispositifs de vidéosurveillance
L’objectivation de l’efficacité des dispositifs de vidéosurveillance est difficile à établir et ce pour plusieurs raisons. Il est important de noter que l’efficacité des caméras de vidéosurveillance dépend de plusieurs facteurs, notamment la qualité des caméras, leur placement stratégique, la gestion appropriée des enregistrements et la sensibilisation des résidents à leur présence. D’autre part, il est difficile d’évaluer avec certitude l’influence réelle de ces dispositifs sur l’arrêt/le report de situations de troubles. Enfin, ces caméras visant à garantir une tranquillité/qualité résidentielle dont le ressenti est particulièrement subjectif et relatif (habitants, agents de proximité…), il est souvent difficile d’objectiver les situations.
Afin d’évaluer l’impact de la mise en place de ces dispositifs, l’USH propose quelques pistes de réflexion (2017) :
- Définir une situation initiale avant la mise en place de caméras (indicateurs permettant de quantifier les actes délictueux) permettant de mesure leur influence. En guise de nuance, iI faut toutefois garder en tête que la présence/absence et l’intensité de ces pratiques source de nuisance et de dégradation s’expliquent par une multitude facteurs dont les dispositifs de vidéo protection font partie.
- Faire la comparaison avec un site témoin non équipé du dispositif
Dans ce même rapport, l’USH détaille quelques point forts et points faibles afin d’aider à comprendre la portée de ces dispositifs
Points forts :
- Grace aux image une identification plus facile des auteurs et un rapprochement bailleur-police
- Un outil performant pour identifier des situations problématiques afin d’y apporter une réponse rapide
- Un bon outil pour la gestion de proximité (détection facilitée de dégradation, d’encombrants, etc.)
Limites liées à la vidéosurveillance selon Elodie Lemaire [3] et points faibles (USH)
- La qualité de la vidéo et la limitation du champ de vision
- La vulnérabilité des dispositifs (panne, dégradation)
- Coûts élevés en matière d’investissement initial, d’utilisation et de maintenance le tout dans un contexte d’incertitude de cofinancement de l’Etat
- La lecture des images de vidéosurveillance n’est pas neutre. Elle est sensible aux interprétations (en lien avec la qualité de la vidéo) et à la subjectivité des opérateurs. Elle peut être source de discrimination et d’accusations erronées.
- La vidéosurveillance n’est pas une preuve en soit face aux magistrats. La vidéo n’est pas utilisée comme un argument ultime mais permet d’abonder un faisceau de preuves qui se recoupent
- Peu d’impacts sur les trafics notamment et effets de report
Peu de méthode permettant d’encadrer le bon fonctionnement et la bonne efficacité de ces dispositifs
La vidéosurveillance ou vidéo protection, un outil parmi d’autres
En résumé, aussi bien que les caméras de surveillance sont un outil qui fasse débat dans la prévention et la gestion des situations d’occupation abusive, elles doivent être intégrées dans une approche globale de sécurité et de gestion des immeubles :
- Engager une réflexion préalable autour de la pertinence de mise en œuvre de la vidéosurveillance à conduire (diagnostic, objectifs). Prévoir les conditions d’évaluation de ces dispositifs sur un plan quantitatif et sensible (ressenti des agents et des habitants)
- Une démarche de projet plus global de tranquillité résidentielle et qui s’inscrit plus largement dans un partenariat territorial bailleur-parquet-police. En effet, la vidéosurveillance ne couvre que certains espaces limités (risque de déport), n’est pas nécessairement un frein qui empêche des occupations gênantes ou des actes délictueux. Elle ne doit pas être pensée comme un substitut à la présence humaine (gardiens, médiateurs, etc.) ou comme une solution miracle
- La vidéosurveillance compris en tant que dispositif dissuasif ne va que repousser dans d’autres espaces en proximité les présences de publics sources de nuisances voire d’activités illégales. Elles ne peuvent résorber les problématiques mais elles peuvent, à minima compliquer leur retour sur les sites équipés
Dans un guide fourni, l’USH détaille comment mettre en œuvre une vidéosurveillance selon une méthode rigoureuse (cf. ci-dessous).
Aspects juridiques et éthiques à prendre en compteLa CNIL résume dans un article les conditions qui encadrent la pose, la consultation, l’utilisation et la conservation des caméras et images de vidéosurveillance dans cet article : https://www.cnil.fr/fr/la-videosurveillance-videoprotection-dans-les-immeubles-dhabitation Le guide de l’USH en référence revient sur ces aspects également
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Pour aller plus loin :
- Éric Heilmann, 2012. L’efficacité de la vidéosurveillance. Millénaire 3. URL : https://www.millenaire3.com/ressources/l-efficacite-de-la-videosurveillance
- Kaenzig, R. and Klauser, F. 2018. Vidéosurveillance et insécurités urbaines : Etude de l’efficacité préventive du dispositif de caméras installé au quartier des Pâquis à Genève, Geogr. Helv., 73, 63–73, https://doi.org/10.5194/gh-73-63-2018
- USH, 2017. La vidéoprotection et la vidéosurveillance dans l’habitat social. Repère n°33. URL : https://www.union-habitat.org/sites/default/files/articles/documents/2018-03/Reperes%2033.pdf
Références de l’article
[2] Une étude commandée par les gendarmes montre la relative inefficacité de la vidéosurveillance. Le Monde, 2021
[3] Élodie Lemaire, 2019. L’œil sécuritaire. Mythes et réalités de la vidéosurveillance, Paris, La Découverte, coll. « L’envers des faits »