La communication institutionnelle des élus locaux et des professionnels a pour vocation de s’adresser, d’abord, aux citoyens d’un territoire en fonction de thématiques de vie dans un espace donné, en lien avec les atouts et les difficultés de ce territoire.
Il peut être parfois compliqué de faire se rencontrer les objectifs de la communication institutionnelle et le quotidien des habitants – a fortiori lorsque ces habitants sont issus de quartiers prioritaires, qui nécessitent des politiques publiques spécifiques, et des messages adaptés aux problématiques des habitants.
Quatre questions à Albin Wagener
Albin Wagener est enseignant-chercheur en analyse de discours politique et digital, et également directeur général de la société de conseil en communication et en stratégie de développement Cleverance SAS. Outre son activité de recherche, d’enseignement et d’ingénierie de projet, il intervient sur la communication dans les quartiers, auprès des CCAS ou des associations de quartier, notamment sur les thématiques d’interculturalité et d’interactions sociales.
1/ Quels préalables avant d’engager une action de communication envers les habitants ?
Avant d’engager une action de communication, le plus important est d’abord de connaître son public. Qui sont les habitants auxquels on s’adresse ? Qu’attendent-ils d’un événement ou d’une action ? Et surtout : quelles sont mes représentations de ces habitants ? Est-ce que je les connais autant que je le pense, ou bien est-ce que j’utilise parfois des raccourcis ou des stéréotypes à leur égard ?
Ces questions sont loin d’être anodines : elles disent beaucoup de choses sur la manière dont on envisage la communication. Connaître son public, c’est partir du principe que la communication n’est pas un simple outil mécanique et que derrière, il s’agit d’abord de rapprocher des humains ensemble, autour d’une action ou d’un événement. Cela peut paraître un peu angéliste, mais c’est bel et bien la réalité.
2/ Comment élaborer son plan de communication ?
Comme je le disais, le plan de communication est au service des humains : à ce titre, elle doit les valoriser. Il faut donc pouvoir établir un plan qui met en valeur le public que l’on cible, mais également les partenaires avec qui l’on construit. A partir du moment où on est au clair là-dessus, on peut commencer à concevoir les messages de communication, le style employé et les mots-clé qui permettront d’identifier rapidement le projet ou l’action.
Les outils viennent ensuite dans un second temps, même si chaque dispositif exerce bien sûr des contraintes techniques sur le message. Et là aussi, connaître les personnes à qui l’on s’adresse est capital : inutile d’utiliser Twitter, par exemple, si le public ciblé n’est pas présent sur ce média numérique. Les outils servent le message, les publics mis en valeur et l’événement – et non l’inverse !
3/ Quels sont les points de vigilance à prendre en compte ?
Le plus difficile, souvent, est d’essayer de toucher un public qui ne se sent pas concerné par l’action ou l’événement. Comment peut-on l’atteindre, comment peut-on mieux cibler la stratégie de communication ? Et aussi : faut-il absolument tout faire pour tenter de toucher un public qui ne se déplacera qu’en petit nombre ? Là encore, bien connaître l’environnement humain auquel on s’adresse est un préalable incontournable – mais également connaître les représentations que ces publics ont de vous et de la structure que vous représentez !
Autre point de vigilance : l’accès à la communication ou à l’information. En effet, on peut produire la plus belle communication du monde et passer totalement à côté de sa cible, tout simplement parce que l’on n’a pas pris en considération des éléments pourtant fondamentaux, comme la fracture numérique (tout le monde n’utilise pas les réseaux sociaux), la fracture linguistique (quelle est la maîtrise du français du public ?) et même culturelle (l’événement est-il en phase avec les valeurs culturelles du public ciblé ?).
4/ Les acteurs institutionnels s’interrogent sur leur communication publique. De plus en plus, on constate que les acteurs associatifs et les collectifs d’habitants s’interrogent également sur leur communication envers les autres habitants. Les enjeux sont-ils différents ?
Bien sûr, les enjeux sont variables : quand on représente un acteur institutionnel, on peut être amalgamé avec d’autres institutions. Je m’explique : quand on représente une collectivité ou une mairie, par exemple, et que l’on dépense de l’argent pour une action ou un événement, alors que parallèlement à cela, la collectivité coupe des budgets dans des domaines qui touchent le public cible, alors cela va devenir très difficile de communiquer : dans les représentations des habitants, les acteurs institutionnels risquent de se trouver amalgamés, ce qui est tout à fait compréhensible. Et derrière, c’est votre communication qui va en pâtir.
Pour les acteurs associatifs et les collectifs d’habitants, l’enjeu est moins institutionnel : il s’agit pour eux d’être bien implanté dans un territoire, mais surtout d’être représentatifs des habitants auxquels ils s’adressent. Sans verser dans le communautarisme ni en surévaluer les effets, il faut être lucide : si l’association ou le collectif entreprend une action destinée à tous, mais que dans son fonctionnement même, les principaux acteurs sont issus d’un seul groupe culturel, alors il peut être difficile d’avoir un impact.
Je recommande quelques mots d’ordre : diversité, dialogue, bienveillance et accueil de la parole de l’autre, quelle que soit sa nature ! C’est exigeant, certes, mais encore une fois, une communication ne peut réussir que si les différents acteurs, partenaires et publics sont conscients des représentations qu’ils ont les uns des autres. Si cet élément de base est clair, alors le choix de messages, d’outils et de dispositifs devient nettement plus facile – au-delà bien sûr des contraintes logistiques et budgétaires.
Article mis en ligne le 27 novembre 2017