Havin n’a que 13 ans quand elle plonge en 2021 dans le projet « Où sont les filles de Kerihouais ? En mer ! », porté par l’association Cordée-Cordage présente dans son quartier. Elle ne se doute pas encore qu’elle s’apprête à vivre un chapitre marquant de sa vie, au sein d’un groupe de jeunes filles. Un voyage sur les flots de l’adolescence raconté dans un livre et un film. Plus qu’un projet, cette aventure humaine l’a menée à la rencontre de la mer, des autres, d’elle-même…
Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?
J’ai 16 ans. Je suis en première, dans un lycée lorientais, en ST2S, c’est-à-dire Sciences et Technologies Sanitaires et Sociales. Plus tard, je voudrais être infirmière, aux urgences. J’aime l’adrénaline ! Je suis une personne drôle, à l’écoute, curieuse. Je suis d’origine kurde, c’est ma fierté. Mes parents viennent de Turquie. J’habite à Hennebont depuis ma naissance, dans le quartier Kerihouais. Pour le décrire aujourd’hui, j’ai l’impression que mon quartier a fané, qu’il a perdu ses couleurs. Quand j’étais petite, je le trouvais multicolore. J’ai souvenir qu’on était tous ensemble, qu’on faisait de la corde à sauter. Aujourd’hui malheureusement, je ressens surtout des embrouilles, des bagarres. Mais j’ai une très bonne amie ici, elle s’appelle Iman. Elle aussi a participé au projet de Cordée Cordage. Cette association aide les jeunes en les faisant sortir de ce qu’ils font d’habitude. Elle leur fait découvrir des choses. Le projet « Où sont les filles de Kerihouais ? En mer ! » a été créé pour que nous, les filles de Kerihouais, sortions de notre confort, que l’on découvre la mer, que l’on rencontre des personnes. Libéra, la coordinatrice, nous a dit qu’on allait faire des sorties en bateau.
Pouvez-vous nous parler de votre participation au projet « Où sont les filles de Kerihouais ? En mer ! »
La première fois que nous nous sommes retrouvées, on a rencontré Marie, qui s’occupait du journal de quartier. Elle nous a proposé de réaliser des interviews, puis d’écrire un livre. On a rencontré Liz pour le dessin, Julien pour la vidéo, Sonia et Malika du festival « Les Aventuriers de la Mer »… Nous avons fait des sorties en bateau, du bénévolat. On s’est occupées des enfants. Mon meilleur souvenir, c’est le voyage sur le bateau. La mer pour moi se limitait à la plage… On essayait de cohabiter avec les autres, de s’adapter aux différents modes de vie. Je me suis rendu compte que les autres ne vivaient pas comme moi, ne cuisinaient pas comme moi… L’ambiance était incroyable. Gireg, de l’association Cordée Cordage dansait, c’était drôle ! On se joignait à lui. Les petits-déjeuners ensemble, se lever le matin et voir la mer, c’est inoubliable…
Au final, le projet s’est transformé en tout un chapitre de notre vie. C’est devenu plus grand que ce que l’on pensait. Une expérience gravée dans notre tête pour toujours. Nous pensions participer à quelques activités pendant un an, mais en fait Libéra nous a entraînées dans un projet pendant trois ans ! Nous avons réalisé notre propre livre Au-delà de la mer, et notre propre film Les jeunes filles et la Mer… C’était un bel épisode.
Nous avons appris à connaître le monde de la mer. Il n’est pas comme on le voyait, il est plus vaste, au-delà de la plage. J’ai découvert qu’il y avait quelque chose de plus beau, après. C’est une sensation extraordinaire. J’ai appris à connaître et m’adapter aux autres. J’ai compris qu’on ne vivait pas tous de la même manière.
Qu’avez-vous appris à travers le livre et le film qui racontent cette aventure ?
C’est intéressant de pouvoir s’exprimer sur ce que l’on a fait. Nous avons pu sortir de notre quotidien, et en le partageant, je me dis que cela peut pousser les autres à sortir de leur routine, eux aussi, à oser découvrir. Pour eux aussi, la mer est vaste. C’est un monde. Un grand monde, un autre monde. Cela nous a inspiré le livre et le film. On a appris qui on était réellement, à s’affirmer. Parler de soi, être à l’aise à l’oral. Quand nous écrivions, j’avais l’impression qu’on n’était pas toujours concentrées. Mais quand j’ouvre le livre, en fait je me rends compte que nous avons vécu de grands moments. Cela me rend parfois nostalgique. On pouvait se retrouver entre filles et échanger sur ce que nous vivions, sur notre rapport aux garçons, nos questionnements. On retrouve cela dans le livre. Dans le film, on s’exprimait sur nous-mêmes, sur notre vie, d’où l’on vient. C’est comme si on se découvrait. Ce qui était frustrant c’était de ne pas mettre toutes les images… Il fallait sélectionner. On s’est rendu compte que notre image ne s’arrêtait pas à qui on était dans le quartier. Avant, on restait dans notre bulle. On a appris à s’exprimer vis-à-vis des autres. J’étais heureuse et fière de présenter notre livre et notre film et de partager cette expérience.
On a appris qui on était réellement, à s’affirmer. Parler de soi, être à l’aise à l’oral. Dans le film, on s’exprimait sur nous-mêmes, sur notre vie, d’où l’on vient. C’est comme si on se découvrait.
Quelques années après cette expérience, qu’en avez-vous gardé ?
C’est utile et ce le sera toujours. Plus tard, quand j’aurai des enfants, je leur ferai découvrir ce que j’ai appris. Je ne vais pas les priver de cela ! Dans notre CV, aussi, ce projet peut être facilitant. Je me rends compte que j’ai plus d’expérience que certaines personnes de mon âge. Si je passe mon BAFA, cela peut ajouter un plus. Aussi, à l’oral, pour le bac, je sais que je me sentirai à l’aise de parler devant des inconnus. Par exemple, avec le lycée, nous sommes partis dans un autre lycée pour simuler un parlement européen. Nous avons pris la parole, avec mon amie Iman, on était à l’aise. Je me souviens que nous avions fait des exercices au théâtre, dans le cadre du projet. Aussi, nous n’avions pas souvent notre téléphone. Libéra nous l’enlevait pour que nous restions connectées au moment présent. J’y pense encore… Je recommanderai ce genre de projets les yeux fermés. Allez-y, foncez sans hésitation ! Vivez le moment présent !
Vous avez été dans plusieurs lieux culturels, au cours du projet. Avez-vous changé de regard sur ces lieux, sur la culture ?
Oui, avant je voyais ces endroits comme des lieux ennuyeux où je n’allais rien trouver d’intéressant. Mais nous avons pris l’habitude d’aller à la médiathèque, au théâtre, avec Libéra. Et nous avons vu des choses extraordinaires. Je me souviens d’une pièce sur les filles et une autre sur les garçons. Aussi, nous avons été au festival « Les Aventuriers de la Mer » à Lorient, et au Festival du Film Insulaire sur l’île de Groix pour présenter notre livre et notre film, et nous avons fait des projections et séances dédicaces dans des médiathèques, librairies, cinémas… Au début, c’était stressant, de parler devant le public, mais on s’est lancées. Je me sens moins timide aujourd’hui, dans ces endroits et dans la vie.
Propos recueillis par Marie Fidel
Contact : www.cordeecordage.blogspot.com