Conjuguer la politique de la ville avec l’économie : une mission impossible ?
Pas pour Angers et Rennes, qui ont répondu au challenge en créant un poste dédié : Chargé de développement économique dans les quartiers.
À la manœuvre, deux professionnelles dressent le portrait de ce nouveau métier.
PORTRAIT MÉTIER — Chargé de Mission Développement Économique dans les quartiers.
Nom : Chargé de mission
Prénom : Développement économique
Mission : Mettre en œuvre le pilier économique du nouveau Contrat Ville
Date de naissance : 2015
Lieux de naissance : Angers et Rennes (quartiers prioritaires)
Parents :
Loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine du 21 février 2014 et
Nouveau programme national de renouvellement urbain NPNRU.
Fratrie : piliers cohésion sociale et cadre de vie
Signes particuliers : goût pour la transversalité, la proximité, l’innovation au service du développement local des quartiers.
Une Mission (im)possible ?
Ouvrir ses portes au monde économique.
Développement social urbain et développement économique… A priori, tout les éloigne. Alors, quand le volet économique s’est imposé comme un pilier du nouveau contrat de ville, en 2014, c’était un véritable défi, pour les collectivités.
Comment associer ces deux champs aux cultures très distinctes ? Timidement, les collectivités se sont rapprochées d’acteurs du privé, réseaux d’entreprises, chambres de commerce et d’industrie, chambre de métiers, etc. Non sans bousculer les vieilles pratiques. Dès lors, il a fallu imaginer des outils pour bâtir des nouvelles passerelles entre les politiques publiques et l’économie. Trouver un langage commun.
Certaines collectivités ont pris le parti d’accueillir directement chez elles cet allié inédit. Un nouveau métier est alors apparu, à Angers et Rennes : celui de chargé de développement économique dans les quartiers. En poste, Émilie COUTAND et Marie COTARD incarnent d’autres manières de faire du développement économique local.
En pratique…
Coordonner = Décloisonner
L’une vient de l’emploi, l’autre de l’aménagement du territoire. En plus de leurs missions institutionnelles, de nouveaux axes de travail se sont invités dans leur ingénierie de projet, comme le soutien à l’initiative privée, à l’entrepreneuriat, aux partenariats avec les entreprises, l’employabilité locale, les commerces et les locaux d’activités dans les quartiers, la participation de tous aux chantiers de renouvellement urbain.
« Connecter les réseaux », Marie Cotard.
« Ma formation en aménagement du territoire et mon expérience dans le privé au sein d’un bureau-conseil en développement économique me permettent de lier plus facilement ces deux domaines. Sur 2 des 5 quartiers prioritaires rennais, des projets de renouvellement urbain sont en cours, et c’est intéressant de pouvoir associer les deux et de créer une relation entre l’économie et l’aménagement, à l’échelle des territoires. Au sein d’un groupe de travail interne, on a réussi à connecter les réseaux et effectivement, les acteurs ne se connaissaient pas assez ».
« Cela ne va pas de soi… », Émilie Coutand.
« Je suis rattachée à l’agence de développement économique de l’agglo qui a été remodelée en 2015. On a rassemblé tous les services liés au développement économique et à l’emploi de notre territoire, ce qui n’était pas courant. Peu d’agences de développement économique possèdent un service emploi intégré. Moi, je suis rattachée à la direction de l’emploi. J’avais en amont une mission transversale qui était de déployer notre dispositif emploi et éco dans les quartiers. Dans la réalité, ce n’est pas aussi simple. La transversalité avec les services éco ne va pas de soi. On est encore dans une phase d’étude et de réflexion, sur nos deux quartiers qui vont connaître des opérations de renouvellement urbain. Là où nous avançons bien, c’est sur l’accompagnement à l’entrepreneuriat ».
Progressivement, cette nouvelle approche économique a réussi à intégrer :
• de nouveaux modes de développement économique vers l’économie de proximité
• les quartiers populaires dans une stratégie économique d’agglomération.
Bien joué !
L’innovation au tournant
Des entreprises qui ont envie de s’ouvrir aux quartiers, des collectivités qui leur font confiance pour créer de l’insertion et de l’emploi. Quand tout le monde joue le jeu, cette nouvelle gouvernance locale apparaît comme porteuse de dynamiques et partenariats innovants, dans les quartiers.
Illustrations sur le terrain :
À ANGERS, la proximité
« On s’est mis en mode intervention de proximité, au plus près des habitants sur ces questions de l’entrepreneuriat et de l’emploi » (Émilie Coutand).
✓ PERMANENCES EMPLOI : Pour accompagner les personnes qui ne vont plus dans les services traditionnels de l’emploi et recréer du lien avec les partenaires locaux.
Les + : la proximité, le cadre désinstitutionnalisé, un autre regard,
une offre de services plus large, le lien entre les habitants et le service public.
✓ LA FABRIQUE À ENTREPRENDRE : Dispositif de proximité de soutien à la création d’activité, destiné aux porteurs de projets, aux jeunes et aux entrepreneurs existants (concept national essaimé par La Caisse des Dépôts). Ouverture récente de 3 lieux à Angers et Trélazé.
Les + : accompagnement, mise en réseau des porteurs de projet,
dynamique d’échange autour de l’entrepreneuriat dans les quartiers.
✓ ZOOM SUR : UN ESSAI TRANSFORMÉ POUR L’EMPLOI
Quand les entreprises font une passe aux jeunes.
Un club de sport, Le SCO Rugby, a lancé un dispositif innovant : il a constitué deux promotions de 14 jeunes issus à 100 % des quartiers prioritaires. En face, des entreprises avec des promesses d’embauche. Les jeunes sont rentrés en formations de 4 mois dont une partie en centre de formation, des stages en entreprise et du rugby. À travers le sport, ils se remobilisent et valident un socle de compétences transposables au niveau professionnel, autour du respect des règles, de l’esprit d’équipe.
Les + : Des entreprises partenaires qui jouent le jeu et ce vecteur sport très fort qui parle aux jeunes et aux entreprises.
LE RÔLE DE LA CHARGÉE DE MISSION :
« Notre travail a été de financer l’ingénierie de projet, mettre en relation le club de rugby avec des entreprises, même s’ils avaient déjà un réseau de sponsors, et puis avec les maisons de quartier et acteurs de l’emploi qui ont cherché les jeunes. C’est un bel exemple d’entreprises qui s’engagent sur le territoire. Nous avons fait ce lien avec les quartiers et le monde économique » (Émilie Coutand).
À RENNES, la transversalité
« Dans les quartiers coexistent des enjeux économiques, urbains, sociaux, culturels … Toutes les politiques publiques se croisent. Ce qui paraît essentiel aujourd’hui, c’est le décloisonnement des politiques publiques sur les quartiers prioritaires : aller plus sur du développement local. On sait qu’avec les projets de renouvellement urbain, les chantiers vont s’échelonner sur les 10 prochaines années ; l’idée est d’en faire bénéficier les entreprises et habitants ». (Marie Cotard).
✓ GROUPE DE TRAVAIL DÉVELOPPEMENT ÉCO ET EMPLOI
« Nous avons créé un groupe de travail développement économique et emploi dans les quartiers avec tous les acteurs qui pouvaient se raccrocher à cette thématique. À la direction de l’économie, j’ai un bout de la réponse, à l’aménagement ils ont un autre bout et à la direction de quartier ils ont le dernier, donc on essaie de mettre tout le monde autour de la table pour avoir l’ensemble des réponses et avancer de manière complète, constructive et réactive ».
✓ RÉUNIONS DE SENSIBILISATION DES TPE-PME ARTISANALES A LA COMMANDE PUBLIQUE
« L’idée était de rapprocher les TPE et PME des donneurs d’ordre public, de sensibiliser les deux mondes. D’un côté, dire aux entreprises qu’elles peuvent répondre à la commande publique, et de l’autre montrer aux donneurs d’ordre public qu’il y a des entreprises motivées et les sensibiliser à créer des plus petits lots pour qu’elles puissent y répondre ».
✓ CENTRES D’AFFAIRES
Parmi les projets innovants : deux centres d’affaires de quartier qui n’ont aucun mal à se remplir. Une conciergerie solidaire, une esthéticienne, un architecte y ont trouvé un toit. Il s’agit de petites couveuses pour les jeunes activités, hébergées dans des locaux à loyer modéré avec une batterie de services (accès internet, animatrice, formations). L’idée, c’est de les aider à se professionnaliser, à se développer et favoriser l’entrepreneuriat dans les quartiers.
À venir : un pôle économie sociale et solidaire, une pépinière d’entreprises, une coopérative éphémère sur l’alimentation, peut-être une coopérative de quartier.
LE RÔLE DE LA CHARGÉE DE MISSION :
« Je me concentre sur cette logique de coordination globale sur les quartiers, pour avancer tous ensemble avec le même niveau d’information et faire en sorte que des actions se mettent en place de manière cohérente et adaptée aux spécificités des QPV. Ceci à la fois en lien avec la temporalité des entreprises mais aussi celle des projets d’aménagement en cours et à venir ». (Marie Cotard).
À suivre…
À la croisée du monde économique et politique urbain, ces projets innovent autant dans les solutions qu’ils apportent aux habitants que dans les modes de gouvernance et de financements qu’ils explorent. Inventer de nouvelles manières de faire, c’est finalement la mission principale de ce nouveau métier au service de la Politique de la Ville.
Rédaction Marie Fidel
Article mis à jour le 3 mai 2017