Passionné de photographie, Mickaël Gouré est animateur multimédia à la MJC du Plateau de Saint-Brieuc. Spécialiste des techniques numériques, il anime le club photo qui propose chaque année une nouvelle thématique de travail à ses membres. En 2021-2022, le projet concernait la démolition des tours Balzac, grands ensembles emblématiques de la ville, situés à proximité de la MJC.
Pouvez-vous nous présenter le projet Clair-Obscur ?
Le club photo a été lancé il y a une dizaine d’années. Aujourd’hui, il y a quasiment autant d’hommes que de femmes, dans une tranche d’âge allant de 16 à 62 ans. La moitié des habitants viennent du quartier prioritaire Le Plateau – Europe – Balzac et l’autre moitié sont des habitants d’autres quartiers. C’est un club convivial, qui n’est pas élitiste, chacun peut y participer, chacun vient y chercher une bonne ambiance et partager une expérience artistique ensemble. Il ne s’agit pas uniquement d’un cours de photo. L’objectif est aussi de partager une aventure de sortie et de créer du lien entre les membres. En 2021, la prévision de la démolition des tours de Balzac était un évènement très important sur le quartier. L’idée est venue d’essayer de témoigner à travers la photographie de cette transformation urbaine et de la suppression, de ce qui, physiquement, représentait toute une tranche de vie pour beaucoup de personnes. L’idée était d’en rendre compte d’une façon artistique.
Construites en 1965, les 4 tours Balzac venaient répondre aux besoins croissants de logements. Avec leurs 10 étages, elles offraient alors le confort moderne et des vues imprenables sur la baie de Saint-Brieuc. Devenues vétustes, 2 des tours ont été détruites en 2021 (les 2 autres ont été déconstruites en 2023). Certains des participants ont habité étant jeunes ou enfants dans ces tours et la plupart connaissent bien le quartier.
Les gens qui habitent les quartiers populaires n’ont que leur propre ressenti, leur propre histoire et fierté par rapport à leur lieu d’habitation. Ils ne vont pas d’eux même avoir l’idée de valoriser cette culture populaire, et pourtant ils y sont très sensibles.
Le Club photo est ouvert le soir de 19h à 21h, donc l’idée est venue de faire du clair-obscur avec peu de lumière. Nous avions des lampes assez puissantes pour apporter un peu d’éclairage, donner du contraste et de la perspective, pour qu’il ne fasse pas complètement nuit sachant que c’était l’hiver, puisqu’on a commencé en octobre jusqu’en février. Les personnes ont dû être vraiment très engagées dans cette participation car, étant donné le créneau horaire, les conditions climatiques n’étaient pas des plus agréables.
Quand l’idée a été proposée, les participants ont été tout de suite emballés par les multiples facettes qui rendaient ce projet intéressant à travers la photographie, à travers le témoignage, à travers le fait de vivre cette transformation. Semaine après semaine, on voyait au fur et à mesure, la déconstruction de l’équipement. Contrairement à une démolition par explosifs, les tours ont été au fur et à mesure « grignoté » par une sorte de machine articulée, qui cassait, qui coupait.
Comme le souligne une habitante dans une vidéo Ouest-France (1) : « Je suis venue voir le chantier avec mes petits enfants pour leur montrer ce que c’est que des grues qui ressemblent à des dinosaures qui mangent des maisons. C’est un quartier et des familles que je connais bien et cet événement-là me touche beaucoup, à la fois parce que c’est une histoire qui s’arrête, l’histoire des familles ici, et en même temps avec le projet de rénovation à long terme, qui permet de se dire que la vie continue autrement. »
L’idée du projet était de rendre le plus artistique possible les clichés qui étaient réalisés. La pose longue est une pratique assez compliquée techniquement car il faut vraiment bien maîtriser l’appareil. C’est un exercice qui demande à se perfectionner et à bien comprendre le fonctionnement des prises de vue.
Il fallait aussi s’exercer en fonction des conditions météo, s’il y avait du vent, si on voyait les étoiles ou si la vue était bouchée et en fonction de la déconstruction, ça amenait des clichés complètement différents aussi. On percevait également une certaine solennité car on rentrait un peu dans l’intimité des habitants. A certains moments, on voyait l’intérieur d’un appartement avec sa tapisserie par exemple, signes de pans de vie passés dans ces habitations.
Comment le projet s’est-il construit avec les habitants ?
C’est le groupe de personnes qui étaient déjà intéressées par le club photos qui s’est lancé dans le projet. En tant que spectateurs, les habitants du quartier, de manière globale, se sont intéressés au projet mais pas dans sa réalisation, qui demandait un intérêt et un engagement sur la photographie, de nuit, avec l’utilisation de techniques particulières.
Tous les 15 jours était exposée une série de photos c’est-à-dire que chaque participant proposait un cliché. Je récupérais ces clichés, je les imprimais sur du papier tout fin qui sert plutôt à imprimer des plans d’architecte en noir et blanc et qui a été suffisamment correct pour être présenté et je les collais après. C’était des grands formats qui devaient faire 2 mètres sur 2. Je les collais ensuite sur les murs de la MJC avec de la colle à papier peint. On pouvait déjà présenter une exposition de photos qui était renouvelée régulièrement. La MJC étant un endroit très passant, avec des commerces aux alentours, les habitants se sont intéressés au projet par la visualisation des clichés. Les gens posaient des questions et avaient envie de partager leur vécu car certains avaient habité les tours.
Et concernant les expositions, il est arrivé que certains viennent décoller et récupérer des photos alors qu’elles n’étaient pas encore sèches. Donc il y avait un grand succès puisqu’on nous volait les photos. On était un peu flattés quand même ! Un peu déçus aussi parce qu’il fallait refaire un tirage et les recoller !
Fin janvier, la biennale de la photographie à la salle de Robien à Saint-Brieuc nous a permis de faire des tirages d’une vingtaine de clichés qui ont été exposés lors de cet évènement photo briochin. La biennale de la photographie regroupe des travaux d’école, des travaux de club photos avec une tête d’affiche nationale. Ce projet à gros budget a été financé par l’ANRU, suite à un appel à projet lancé par la mairie sur la valorisation et l’animation de cette transformation urbaine. J’y ai répondu au nom du club photo, ce qui nous a permis une diffusion sur grand format.
Les clichés auront l’occasion d’être réexposés au city stade et l’été dernier, un lieu d’exposition a été réaménagé à la place des anciennes tours et là aussi, les photos ont été également de nouveau exposées. Donc le projet continue à vivre.
En quoi est-ce important de cultiver la mémoire du quartier Balzac qui a subi d’importantes transformations urbaines ?
Je pense que ça serait vraiment triste que ça passe inaperçu, il y a tellement de vie, il y a eu tellement d’enfants à y grandir. L’opinion publique dans sa globalité, n’est pas forcément fière de ces quartiers-là et les gens qui y habitent n’ont que leur propre ressenti, leur propre histoire et fierté par rapport à leur lieu d’habitation dans le quartier. Ils ne vont pas d’eux même avoir l’idée de valoriser cette culture populaire, et pourtant ils y sont très sensibles donc si on n’essaie pas de le faire, d’impulser des actions qui vont dans ce sens-là, ils ne le feraient peut-être pas eux même. Et pourtant, on voit qu’il y a un réel impact dans ces projets de mémoire et que les habitants en sont fiers. C’est leur donner de l’estime, de la valeur, ça valorise leur jeunesse, pour certains.
Y a-t-il eu des surprises, des inattendus dans les rencontres avec les habitants et leurs créations ?
Lors de la biennale de la photographie, de nombreux habitants du quartier sont venus voir l’exposition de nos photos, des personnes qui ne seraient jamais venus autrement. Certains avaient à cœur de faire part de leur expérience, « moi j’ai habité là à cette époque-là quand j’étais jeune ». Des adultes qui ont maintenant 40-50 ans m’expliquaient que, à l’époque, il y avait un « gang » de la tour 1 et un autre dans la tour 2. Il s’agissait plutôt de bandes de jeunes qui faisaient des petites bêtises. Ils m’ont raconté ce qu’ils avaient pu y faire : escalader l’immeuble en passant par les balcons, étant donné le nombre d’étages, il ne fallait pas se louper quand même ! D’autres me racontaient des petites choses de leur histoire. Les petites histoires qui font la grande histoire finalement.