« Quoique ces troubles à la tranquillité ne constituent pas nécessairement des infractions pénales, ils affectent l’ambiance résidentielle. Ils répercutent avant tout des enjeux de cohabitation et des conflits d’usage entre les différents groupes sociaux en présence » GOSSELIN Camille, MALOCHET Virginie, « « Jusqu’où ne pas aller trop loin ? » Les bailleurs sociaux face aux enjeux de sécurité », Espaces et sociétés, 2017/4 (n° 171), p. 127-143. DOI : 10.3917/esp.171.0127. Lien vers l’article
1. Établir un diagnostic précis de chacune des situations.
Afin d’envisager au mieux des réponses adaptées, il apparait nécessaire de s’appuyer sur une connaissance fine des problématiques inhérentes aux halls jugés en difficulté. Les réponses les plus impressionnantes ne sont pas toujours les plus efficaces ni les plus pérennes.
L’AORIF (2021) liste différents axes et méthode de travail pour réaliser ces diagnostics dans des résidences touchées par des nuisances importantes :
- Quantifier et localiser les troubles et nuisances (type, récurrence, temporalité, etc.)
- Réaliser un diagnostic urbain. Analyser l’environnement, l’agencement et l’organisation des différents espaces afin de mettre en évidence ceux qui sont touchés par des présences et des pratiques sources de nuisance pour les locataires. Cette lecture doit permettre d’imaginer une redistribution des espaces de telle sorte que les différentes pratiques et flux gênent moins les habitants
- Une analyse quantitative ciblée. Lorsque les nuisances sont d’un seul type et localisées
- Une analyse qualitative globale auprès des habitants, des agents de proximité collectivité/bailleur (cf. la médiatrice chargée du cadre de vie d’Archipel Habitat), des acteurs présents sur le quartier mais aussi auprès des services de police/justice. Pour l’AORIF, un tel travail doit se penser à des échelles plus importantes qu’un hall ou une résidence (ilot, secteur, quartier) et être piloté par plusieurs acteurs (interbailleurs, collectivité) afin de dresser un diagnostic complet puis une stratégie de réponse coordonnée. Les analyses qualitatives peuvent être réalisées par le biais de visites de site, marche exploratoire mêlant différents acteurs et habitants, enquêtes de voisinage et recueil des attentes des habitants
· Qualifier les problèmes d’insécurité
Selon une étude auprès des bailleurs de Camille Gosselin et Virginie Malochet[1], les problèmes d’insécurité peuvent se classer en 4 catégories perméables entre elles :
- Les troubles à la tranquillité (nuisances sonores, olfactives, etc.), sans être pénalement répréhensibles, ils « affectent l’ambiance résidentielle et alimentent le sentiment d’insécurité» (ibid.). Ces troubles sont souvent associés à des groupes de jeunes hommes.
- Les atteintes aux biens. De dégradation jusqu’aux vols et cambriolages, ces atteintes « détériorent le cadre résidentiel et peuvent engendrer d’importants coûts de maintenance et de réparation» (ibid.)
- Les atteintes aux personnes que ce soit sur les habitants ou les agents de proximité, ces atteintes ont des niveaux de gravité différents (injures, agression physique…). Cette donnée peut être difficile à mesurer puisque ces faits ne font pas systématiquement l’objet de plaintes.
- Les activités commerciales illicites. De ces activités, c’est le trafic de stupéfiants qui revient le plus souvent et est souvent mentionné comme la cause d’autres atteintes et troubles.
Fiche expériences. Deux projets de repérage et de cartographie des halls en fonction du niveau de difficulté
Accéder à la fiche expériences
Un sentiment diffus d’aggravation des situations de squat et de deal ?
« Ils avancent et on recule », me partage un des bailleurs rencontrés. Plusieurs d’entre eux évoquent, en effet, une récurrence croissante de phénomènes de dégradations, d’occupations abusives voire de violences et/ou de trafics, sans pour autant réussir à les objectiver systématiquement (cf. suivi par la cartographie). Pour autant, en fonction des territoires, des événements, les récits et expériences de situations difficiles peuvent-être très variables. Les villes, les quartiers et même les secteurs d’un même quartier sont inégalement exposés à des actes et leurs habitant·es inégalement touché·es par ces incivilités et/ou par un sentiment d’insécurité. Ce constat doit nous permet quelques réflexions qui guideront ce travail par la suite.
Quelques études, nous permettent une première approche afin de mieux saisir si les QPV sont plus sujets à des actes délictueux (objectivation) et si leurs habitants sont plus sujet au sentiment d’insécurité (approche sensible).
De plus nombreuses victimes de violence dans les QPV. Peu d’études permettent d’objectiver si les QPV sont plus particulièrement la cible d’acte délictueux ou criminels. Cependant, s’agissant des violences, une étude d’Interstats datée de 2023 rapport que le « le nombre de victimes rapporté à la population est plus élevé dans les QPV que sur l’ensemble du territoire national » et ce même en dehors des violences intrafamiliale avec un taux de 3 ‰ (de 0.,5 à 1,5 pts de plus que dans les unités urbaines)[3].
Un plus fort sentiment d’insécurité des habitants en QPV. En revanche, de plus nombreuses études questionnent la perception de sécurité qu’ont les résidents des QPV par rapport à leur quartier. Par exemple, en 2019, l’ONPV signale qu’ « un tiers des habitants constatent et craignent la présence de personnes hostiles aux abords de leurs immeubles et un tiers ont été inquiétés (32 %) au cours des 12 derniers mois par l’existence de groupes de délinquants qui sont à l’origine de trafics de drogue, contre 13 % dans les autres quartiers » [4].
Plus d’insécurité mais par nécessairement de réponses sécuritaires attendues. Plus récemment et localement, dans le cadre de la concertation Quartiers 2030 : Vos projets pour les quartiers[5], une enquête à été réalisée dans différents territoires dont -pour l’ouest- la Sarthe et les Côtes d’Armor. Elle met en évidence que ces craintes liées à l’insécurité ne se traduisent pas nécessairement par des attentes purement sécuritaires. En effet, à la question « quels défis à relever pour les QPV du département », l’enjeu principal mis en avant sur les deux départements est celui de la prévention de la délinquance, seuls les habitants de la Sarthe mettent en second enjeu la sécurité. Plus que de la sécurité et des attentes en matière de répression, c’est de la sureté (moins de peurs) qui semble attendue. Cette dernière englobe un spectre de réponse beaucoup plus large (sécurité, prévention, médiation, animation, voisinage, qualité de vie etc.).
Des réponses inefficaces ? En outre, prendre en compte ces enjeux apparait d’autant plus important quand nationalement « 27 % des habitants des QPV renoncent à sortir seuls de chez eux en raison, notamment, de la présence de groupes de personnes aux abords du domicile, contre 11 % ailleurs » (ONPV, 2019. [4]). Dans cette perspective, cependant, il semble que l’action des différents acteurs en présence ne soit pas suffisante puisque, par exemple, l’ONPV (2019) indique que « les résidents des QPV sont plus insatisfaits vis-à-vis de la police : ils jugent la présence locale des forces de l’ordre insuffisante (32 % contre 18 % hors QPV), inexistante alors qu’elle serait nécessaire (15 % contre 9 % hors QPV), et l’action de la police plutôt inefficace (44 % contre 20 % hors QPV)« [6].
Au delà, par exemple, via l’Observatoire des faits d’incivilité dans le parc HLM (USH, 2023)[2] ont note un renforcement de la mobilisation des acteurs du logement en faveur de la tranquillité résidentielle :
- Diminution constante du nombre de plaintes déposées pour agression sur leurs agents par les bailleurs (de 4,2 pour 100 salariés en 2010 à 1,7 en 2021)
- Une réaction des bailleurs face aux enjeux de sécurité
- Légère augmentation de la proportion de bailleurs ayant un référent sûreté
- Augmentation puis stagnation (~70%) de la part des organismes HLM équipés d’un dispositif de vidéosurveillance
- Recours au gardiennage en soirée en stagnation (~40%)
- Stagnation du recours à l’assermentation d’une partie des agents (~15%). Plus la part des logements en QPV est forte, plus le bailleur à recours à ces dispositifs
- 66% des bailleurs ont une convention de partenariat avec la police et/ou la justice
Une difficulté d’objectiver le niveau d’insécurité d’un territoire
Qualifier le niveau d’insécurité d’un territoire apparait être un objectif difficile pour deux raisons [1] :
- Les activités délinquantes cherchent nécessairement à ne pas être vues, voire à se cacher parce qu’illicite. Cette clandestinité rend très difficile cette mesure.
- « L’insécurité est une réalité sensible, différemment perçue et vécue selon les individus» (ibid.). Ainsi, pour un même évènement le ressenti sera très différent entre les profils d’habitants, de professionnels, etc. Par exemple, des personnes « qui ont antérieurement vécu ou exercé sur des sites plus difficiles sont effectivement plus enclines à relativiser les problèmes auxquels elles sont actuellement confrontées. »
Cependant, pour engager des actions efficaces, il apparait essentiel de produire et de partager un diagnostic fin des situations afin d’engager les responsabilités de chacun des acteurs en premier lieu mais aussi afin de coordonner les réponses. Pour s’assurer de dresser un diagnostic prenant en compte ces limites, il faut multiplier les méthodes (quantitatives, qualitatives) (cf. AORIF Partie 1.1) et les sources afin de comprendre les différents points de vues, il faut interroger les situations avec une approche critique dans l’objectif d’identifier les « responsabilités respectives dans la coproduction de l’insécurité » (ibid.).
Le risque du tout sécuritaire, mesurer et objectiver les risques avant d’agir
Face aux emballement médiatiques lors d’événements parfois aussi spectaculaires que violents, l’appréhension peut gagner d’autres territoires qui seraient tenter de renforcer la sécurité des halls et abords du patrimoine bâti des quartiers populaires. En effet, les dispositifs sécuritaires s’ils peuvent protéger, apportent leurs lots d’effets non-désirés. Ils compliquent souvent la qualité d’usage (plus de portes, moins d’espaces), ils diminuent le potentiel d’appropriation par les habitants et surtout une sur-sécurisation peut être discriminante puisqu’elle donne à voir qu’il pourrait s’agir d’espaces dangereux. Dans toute cette exploration, notre ambition n’est pas de mettre dos à dos les différentes interventions, mais plutôt de montrer qu’une compréhension fine des contextes et des effets potentiels des aménagements ne doit pas systématiquement ou raisonnablement trouver une réponse par des solutions sécuritaires.
[1] • GOSSELIN Camille, MALOCHET Virginie. 2016. Acteurs de la tranquillité, partenaires de la sécurité les bailleurs sociaux dans un rôle à dimension variable. IAU Ile-de-France. URL : https://www.institutparisregion.fr/fileadmin/NewEtudes/Etude_1264/Acteurs_de_la_tranquillite_partenaires_de_la_securite.pdf
[2] https://www.union-habitat.org/sites/default/files/articles/documents/2023-05/observatoire_national_des_faits_dincivilites_dans_le_parc_hlm_-_donnees_2021.pdf
[3]Interstats, 2023. Info rapide n°29 : Quartiers de la politique de la ville : davantage de violences enregistrées mais moins de vols que chez leurs voisins URL : https://www.interieur.gouv.fr/Interstats/Actualites/Info-rapide-n-29-Quartiers-de-la-politique-de-la-ville-davantage-de-violences-enregistrees-mais-moins-de-vols-que-chez-leurs-voisins
[4] ANCT, 2022. Guide sur la sécurité dans la politique de la ville. URL : https://agence-cohesion-territoires.gouv.fr/sites/default/files/2022-09/guide_securit%C3%A9_Janv2022-1%20-%20Copie.pdf
[5] Secrétariat d’Etat chargé de la ville, 2024. « Quartiers 2030 : vos projets pour les quartiers ». URL : https://quartiers2030.anct.gouv.fr/pages/resultats
[6] ANCT, ONPV, 2019. Synthèse du rapport ONPV 2019. Bien vivre dans les quartiers prioritaires de la politique de la Ville. URL : https://www.onpv.fr/uploads/media_items/synth%C3%A8se-rapport-onpv-2019.original.pdf