Le parcours de Mouhammad est prodigieux et unique. Un livre de code entre les mains dès l’âge de 13 ans, il s’ennuie vite à l’école et décroche. Que faire alors pour tracer son propre chemin ? La clé pourrait être de suivre sa passion et de se laisser entraîner dans l’effet boule de neige des rencontres…
Nom : MAGOMADOV
Prénom : Mouhammad
Âge : 27 ans
Signes distinctifs : bavard, depuis qu’il a appris à parler, il n’a jamais arrêté !
Nom de l’entreprise : Nanika
Nature de l’activité : Technicien informatique : dépannage, graphisme et développement web.
Pouvez-vous vous présenter ? Qu’est-ce qui vous a mené vers l’entrepreneuriat ?
Quand j’avais 13 ans, mon père m’a ramené de la bibliothèque un livre sur le code informatique. Il m’a dit : « Ce sont des métiers prometteurs ». Je me suis plongé dedans et j’ai commencé à comprendre comment cela fonctionnait. On avait un ordinateur à la maison alors j’ai testé le codage, puis découvert le graphisme et l’informatique en général. Je me suis passionné pour ces trois domaines d’activité. En parallèle au niveau scolaire, je voulais faire un bac pro SEN (Systèmes Electroniques Numériques) mais en 3e on m’a conseillé d’aller en général. J’ai décroché à ce moment-là. Je commençais à pratiquer l’informatique en ligne, cela marchait plutôt bien mais j’étais mineur. J’ignorais qu’il fallait s’inscrire à l’Urssaf. Je suis né à Grozny. En 2004, mes parents et moi avons quitté rapidement la Tchétchénie durant la période de guerre. J’étais à peine en âge d’aller à l’école.

Quel projet avez-vous développé et pourquoi ?
Je propose mes services en dépannage informatique, graphisme et développement web. Très tôt, j’ai commencé à dépanner. Quand quelqu’un avait un souci en informatique dans mon entourage, j’aimais voir la satisfaction de la personne quand son problème était résolu. Je suis devenu le technicien informatique attitré de certaines personnes. Je travaille principalement à domicile. Pour maintenir le lien, j’aime échanger avec le client, bien répondre à ses besoins, à ses problèmes. Et s’il faut revenir le lendemain, je reviens. C’est important pour moi de repartir quand le client est entièrement satisfait. Je le fais avec plaisir. Le fait de ne pas être salarié m’apporte beaucoup. Je travaille à ma manière, sans horaires ni contraintes spécifiques. Je peux même venir dimanche s’il le faut.
Quels ont été les réussites et les freins dans la mise en œuvre de votre projet ?
« J’ai eu l’essentiel de mes clients grâce à la visibilité que les concours du Groupement de Créateurs et Talent des Cités m’ont donnée. »
Les principaux freins dans mon parcours sont liés à ma déscolarisation, et le fait de ne pas être d’ici. Mes parents ne pouvaient pas m’aider au niveau administratif, car ils ne savaient pas comment cela fonctionnait. Mais ma mère m’a poussé à fond. Elle a compris que je faisais ce métier avec joie, cela me booste. Ma réussite, c’est que l’activité se développe, sans que je sois activement en train de démarcher. C’est aussi d’être très heureux de travailler. J’ai eu un parcours alternatif, sans lycée ni université. J’ai dû rattraper le niveau de ceux qui ont une scolarité classique. Certaines personnes ont cru en moi et m’ont poussé à passer des concours comme celui du Groupement de Créateurs, dont j’ai été lauréat national, et Talent des Cités. La concurrence était grande. On m’a poussé jusqu’au bout et j’ai été lauréat régional en 2024. J’avais tout juste immatriculé mon entreprise. J’ai eu l’essentiel de mes clients grâce à la visibilité que ces concours m’ont donnée. Quand je vais chez certains clients, je vois l’article de presse découpé sur le frigo. Cela m’étonne !
Comment et par qui avez-vous été accompagné dans le montage de votre projet ?
Les personnes qui ont été importantes sont Tania, de CitésLab, Émilie et Laëtitia de la Mission locale. Quand je me suis inscrit à l’auto-école, je devais aller à la Journée défense et citoyenneté (JDC). C’est là qu’ils nous ont donné des conseils pour ceux qui n’allaient plus au lycée. Du fait de mon décrochage scolaire je me doutais qu’il me manquait des compétences professionnelles et sociales. J’ai entendu parlé de la Mission locale. Je me suis inscrit et j’ai commencé à revenir dans le milieu professionnel. J’ai fait un service civique avec l’association l’AFEV, cela m’a permis de passer un cap. C’était génial, on intervenait dans les collèges, les lycées et dans les quartiers pour faire découvrir des lieux culturels. En 2020 j’ai intégré une formation de chef de projet en digital mais j’ai arrêté car le côté managerial ne me plaisait pas. Puis en 2022 j’ai suivi une formation de développeur web. Les formateurs étaient exceptionnels. C’est la première fois que je rencontrais des personnes qui avaient les compétences de développeurs et la pédagogie. J’ai pu progresser même si je n’étais pas débutant. Après cette formation j’étais un peu perdu sur la suite et j’ai intégré le dispositif Parrainage de la Mission locale. Ma marraine m’a encouragé dans l’idée d’entrepreneuriat et orienté vers le dispositif Groupement des Créateurs, je me suis laissé tenter avec les ateliers jusqu’à ce que je pose les bases de mon projet et qu’ils m’orientent vers une formation plus professionnelle, avec BGE pendant 6 semaines qui m’a permis de créer mon business plan, et de connaître Cités Lab.

Quelles sont les particularités d’exercer votre activité en quartier prioritaire ?
« Quand je pense au chemin depuis l’auto-école, je vois l’effet boule neige jusqu’à se demander quand cela s’arrêtera ! »
Étant de quartier populaire, mon travail me permet de rencontrer des personnes avec lesquelles je n’aurais pas eu l’opportunité d’échanger. Cela m’ouvre. Je me déplace chez eux ou bien je leur donne rendez-vous ici dans le quartier des Sablons à la maison du projet. C’est positif qu’ils aient implanté ce centre au cœur du quartier. Grâce aux concours, la Ville a confiance en moi. J’ai pu échanger avec certains élus, avec le Maire. Ils veulent aider les jeunes qui ont un projet entrepreneurial. Plein de portes s’ouvrent. Quand je pense au chemin depuis l’auto-école, je vois l’effet boule neige jusqu’à se demander quand cela s’arrêtera ! Le point culminant fut la cérémonie à l’Élysée avec le concours Talents des Cités. Mais je vois cela comme le début de l’aventure, c’est loin d’être fini !
Quels sont vos souhaits pour l’avenir et pour développer votre activité ?
J’ai déjà des échanges avec la Ville pour m’implanter ici, dans le projet de rénovation urbaine, je réfléchis pour avoir des locaux dans le quartier. J’aimerais développer l’entreprise et former d’autres jeunes en codage, graphisme, dépannage informatique, développement web… Ces domaines sont en pleine expansion. Et je serais heureux de former d’autres personnes. J’ai rencontré des jeunes qui aimeraient faire la même chose. Certains m’appellent et me disent que cela leur fait plaisir de voir un jeune des quartiers qui a réussi. C’est dur pour certains, ils ne savent pas où aller. Être directement ici peut les aider. Cela peut partir d’ateliers découverte pour que ceux qui sont inspirés puissent se former plus en profondeur ensuite. Et je continuerai le dépannage informatique. J’aime me déplacer pour aller à la rencontre des personnes, c’est pour cela que je travaille. Je ferai cela jusqu’à ce que je ne sois plus en capacité de le faire. J’en ai besoin.
Contact : mouhammad.magomadov@gmail.com
Propos recueillis par Marie Fidel


