Portraits de jeunes. Klaudio VOCI, futur lycéen et passeur de mots | Fontenay-le-Comte

Klaudio a traversé la Grèce, l’Albanie, et l’Allemagne, avant d’arriver en France avec sa famille. Le mot sûr et les idées vives, il évoque son parcours, son quotidien, et sa vision de la jeunesse en 2021. Sa maîtrise des langues et sa curiosité des autres lui donnent l’envie de devenir traducteur, pour faire entendre la voix de celles et ceux qui en ont besoin.

Nom : VOCI

Prénom : Klaudio

Âge : 15 ans

Signes distinctifs : Il parle couramment le français, l’anglais et l’albanais, et veut maintenant apprendre l’italien et l’espagnol.

Projets : Il va intégrer en septembre 2021 une seconde générale au Lycée Rabelais, avant de construire son projet professionnel en vue de devenir traducteur.

 

Pouvez-vous vous présenter et ainsi que le quartier où vous vivez ? Quel a été votre parcours ?

Je m’appelle Klaudio Voci, je vais avoir 15 ans le 20 août, je suis immigré. Je suis resté un an en Grèce, où je suis né, et puis je suis retourné dans le pays où sont nés mes parents, l’Albanie. On y est restés jusqu’en 2014, puis on est partis en Allemagne. On y restés 2 ans et demi, en demande d’asile, dans un petit camp. On n’a pas eu les papiers allemands, alors on est retournés en Albanie, on n’y est restés que trois mois. On est encore retournés en Allemagne pendant 5 mois, on a eu un 2ème refus. Ma mère était enceinte d’un autre de mes petits frères, et l’État Allemand a dit : « Si vous voulez, vous restez ici pendant 3 mois mais après vous devrez repartir en Albanie ». Ma mère n’était pas enchantée par l’idée, donc elle a pris ses valises et ses enfants, et on est partis, direction la France.

C’est comme ça qu’on est arrivés en France sans connaître un seul mot. On s’est installés à Paris, c’était la belle vie. Un jour on a été contactés par l’OFPRA, pour nous emmener vers Fontenay-le-Comte, ma mère a accepté et c’est comme ça qu’on s’est retrouvés ici, ça va faire bientôt 3 ans. J’habite dans le quartier des Moulins depuis deux ans. Ici c’est extrêmement calme, au début je n’arrivais pas à m’y faire. En Allemagne et à Paris, ça bougeait beaucoup, énormément. Mais c’est bien. Moi je préfère plus la ville que la campagne mais ça ne me dérange pas de vivre ici. C’est un quartier calme, on est entre nous, personne n’est énervé, et si c’est le cas, on s’explique, et il y a une bonne entente. Ce qui est cool dans mon bâtiment, c’est que quand il y a un anniversaire, ou qu’on met de la musique, on met un petit mot et les personnes sont très compréhensives. On ne fait pas ça jusqu’à 6h du matin ! Avant je faisais des choses avec la maison de quartier, mais maintenant j’ai moins le temps. Il y a toujours une bonne ambiance. Il y a les PC, les jeux de société, les imprimantes. Si tu veux faire un film, tu peux ; jouer au billard, tu peux. La maison de quartier ouvre plein de possibilités.

 

Quels sont vos projets ?

Il y en qui veulent devenir médecins ou pompiers, moi je veux devenir traducteur. Quand j’étais petit en Allemagne, dans le camp, c’était moi qu’on appelait pour traduire, on me disait « deviens traducteur », ça m’est monté à la tête. Je pense que je peux y arriver. Moi j’aimerais être traducteur à l’oral, travailler avec des populations de tous types, du moment qu’il y a de l’animation, et que ça paye. J’envisage de quitter Fontenay-le-Comte, j’aimerais bien aller vers Nantes, ou dans une très très belle ville comme Paris. Lyon, Bordeaux, je suis ouvert à tout.

« Quand j’étais petit, j’aimais bien connaître les secrets de tout le monde, et quand tu es traducteur, il y a un petit peu ça. Tu connais la vie des gens. Mais tu as une grosse pression sur les épaules, parce qu’il ne faut pas dire un mot de travers. Par exemple, devant un juge, c’est difficile. »

 

Pour vous qu’est-ce que ça veut dire d’être jeune en 2021 ?

Je ne sais pas si vous voyez ça, mais sur les réseaux, il y a plein de gens qui critiquent les jeunes en disant : « les jeunes ont changé ». Alors oui, ça a changé, on peut plus s’exprimer qu’avant, on vit dans une vraie démocratie. Être jeune en 2021, c’est quand même la belle vie. Être jeune, ça ouvre plein de possibilités. Avant il n’y avait pas tout ce que les jeunes ont en 2021, comme la parole, les manifestations.

« Les réseaux sociaux, c’est bien, mais maintenant il y a aussi beaucoup de cyber-harcèlement. Il faut en parler, c’est sûr. »

 

Vous faites partie d’une génération traversée par des mouvements sociaux très forts, Black Lives Matter, les Marches pour le climat, #MeToo, etc., qu’est-ce que ça vous inspire ? 

Moi je trouve que c’est magnifique. Ce ne sont pas que les adultes qui défendent des causes. Les jeunes ont droit à la parole. Black Lives Matter, l’affaire Georges Floyd, les jeunes le mettaient tous en profil Instagram. Les jeunes peuvent parler comme des adultes. C’est positif.

« Il y a une cause qui me tient à cœur, c’est le droit à l’avortement. C’est son corps, c’est elle qui décide. »

 

Est-ce qu’il y a des choses qui devraient changer dans le quartier ?

Les prix dans les petits magasins. Et un petit peu plus de dynamique, mais sinon, il n’y a rien à changer, c’est très bien.

 

Est-ce qu’il y a des personnes qui vous ont inspiré, influencé dans votre parcours ?

Ma mère. Ma mère m’a énormément inspiré. Depuis que je suis petit, ma mère s’est battue, elle n’avait pas d’argent. On vivait dans une maison bidonville. Des fois, je mangeais du pain avec un peu de sucre dessus, c’était vraiment difficile. Je ne me plaignais pas parce que je me disais : « il y a pire que moi ». Quand j’étais petit, je râlais un peu, je disais : « j’ai faim », maintenant je me dis que quand je disais ça, je devais la blesser. Entendre un enfant dire ça quand il vient juste de manger, ça fait du mal. Surtout, elle a élevé 6 enfants toute seule, ça a dû être extrêmement compliqué pour elle. Ils étaient 11 dans sa famille, et acheter des pommes, c’était une fois par an. Et il fallait y aller à pieds, c’était la galère. Moi des pommes, j’en mange tous les jours, alors je ne peux pas comprendre ce que ça fait. C’est d’elle que je tiens mon caractère.

« Moi j’ai une vie magnifique, ma mère n’avait pas tout ça. »

 

Comment avez-vous vécu le confinement et les restrictions actuelles liées à la situation sanitaire ?

Avant, moi je ne sortais pas beaucoup. Pendant la crise sanitaire, je n’ai pas eu énormément de problèmes parce que j’ai commencé à regarder des animés, et je me suis attaché. Ça m’a permis de passer mon confinement. Mais par contre, pendant mon année de 4ème, mes devoirs, je ne les faisais pas. Quand je suis chez moi, ce n’est pas la même chose qu’à l’école. À l’école je travaille. L’année de 3ème, c’était mieux, j’ai eu mon Brevet des Collèges.

Quel serait votre rêve ?

Des rêves, j’en ai deux. Avoir la fortune de Jeff Bezos, parce que c’est quand même 187 milliards d’euros ! Et le 2ème, c’est à propos de mon papi qui est décédé il y a deux ans. Il adorait l’humour noir, c’est ça qui faisait que je l’adorais. Un jour, il a eu un accident de voiture. Il a fait une chute de 50 mètres et le dernier truc que j’ai entendu, c’est une blague qu’il m’avait faite en partant. Moi je ne suis pas allé voir sa tombe, ma mère y est allé. Moi je veux y aller le plus rapidement possible, à Puke, en Albanie. Ce serait comme le revoir et lui dire : « Au revoir, je t’aime ». »

Propos recueillis par Claire Gadebois

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