Handicapée par une cécité galopante qui la contraint dans ses mouvements et ses rencontres, Andrée Oger ne se départit toutefois pas d’un enthousiasme à toute épreuve. Attachée à son quartier de la Ville aux Roses, qu’elle connaît comme sa poche, et à sa ville de Châteaubriant, où elle est arrivée en 1953 à la faveur d’un déplacement professionnel paternel, elle raconte son quotidien, entre Scrabble, belote et visites. Même si elle aimerait pouvoir sortir davantage, elle se réjouit d’être si bien entourée.
Nom : Oger
Prénom : Andrée
Âge : 83 ans
Signe distinctif : ses lunettes de « cosmonautes », sic, qui permettent à Andrée de lire malgré sa quasi cécité liée à une cataracte congénitale régulièrement
Engagements : membre du conseil syndical des familles, membre de l’association ACIAH (accessibilité, communication, information, accompagnement du handicap)
Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?
J’ai grandi à Segré, dans le Maine et Loire, avec mes six frères et sœurs. Mon père travaillait à la mine, puis il a intégré les chemins de fer à Châteaubriant. C’est à ce moment-là que nous nous sommes installés à Louisfert, juste à côté. Ma mère fabriquait des vêtements et s’occupait de nous. Je me suis mariée en août 1968, et dans la foulée, avec mon mari, nous avons acheté une maison à Châteaubriant. A l’époque, je travaillais à l’hôpital, aux services généraux. Je m’occupais de la buanderie : c’était un métier très dur ! Nous devions laver sept tonnes de linge par semaine… J’ai pu prendre une retraite anticipée, et je me suis arrêtée en 1985, deux ans après la mort accidentelle de mon mari. J’ai refait ma vie en 1987, avec mon premier amoureux… Il était veuf, lui aussi, et un soir il m’a appelée : « Tu me reconnais ? » Mon cœur battait fort mais je n’ai rien dit au téléphone. C’est son père qui avait tout fait pour que nous ne restions pas ensemble. Finalement, nous avons fini par nous revoir, et nous avons vécu ensemble jusqu’à sa mort, en 2017. Comme mon fils, mon petit-fils, et beaucoup de personnes de ma famille, je suis atteinte de cataracte congénitale. C’est une maladie qui affecte la vision : je suis mal-voyante, et ça s’empire.
« Je ne sors plus beaucoup de mon appartement aujourd’hui. Heureusement j’ai ma tablette, sur laquelle je peux continuer de jouer au Scrabble, même s’il ne faut pas que cela dure trop longtemps à cause de mes yeux. Tout me manque, mais je garde le moral quand même ! »
Mon fils est autonome, il habite tout près de chez moi, mais il est en situation de handicap aussi. Il est musicien de métier. Heureusement, mon gendre, le mari de ma fille, aide à domicile, se rend très disponible. Comme il est retraité, il me fait des courses et m’emmène chez le médecin quand j’en ai besoin. Il faut dire que depuis que Claude, mon ami, est décédé, je les collectionne : entre les yeux, le dos, et les hanches, j’ai eu besoin de beaucoup de soins, y compris en clinique, à Nantes ou Rennes. Je ne sors plus beaucoup de mon appartement aujourd’hui. Heureusement j’ai ma tablette, sur laquelle je peux continuer de jouer au Scrabble, même s’il ne faut pas que cela dure trop longtemps à cause de mes yeux. Tout me manque, mais je garde le moral quand même !
Quelle vision avez-vous de votre quartier et de son évolution au cours des années ?
Je suis arrivée dans le quartier en 1993. J’ai changé une fois d’appartement. C’est Claude qui avait proposé que nous demandions un logement HLM. A l’époque, ça m’avait étonnée parce qu’il avait plutôt l’habitude de la ferme, et ici, il n’y a pas de jardin pour faire pousser des légumes ! J’aime bien mon appartement, je suis bien installée. Ma pièce préférée, c’est la cuisine, qui est grande, et dont je peux fermer les rideaux pour ne pas avoir trop de lumière. Des travaux de rénovation sont régulièrement faits par la ville : double vitrages, sols, cuisine… La mairie m’a même fait installer une douche au lieu de la baignoire, parce que je ne pouvais plus monter à cause de ma cécité. Et puis c’est assez calme. J’habite dans une cage d’escalier où il n’y a jamais de bruits. Il faut dire que nous sommes essentiellement des femmes seules ou avec enfants. Je m’entends bien avec à peu près tout le monde, même si je ne connais pas chacune très bien. Le bruit, il vient plutôt de l’extérieur : ce sont les jeunes qu’on entend les vendredis, samedis et dimanches soir. Ils font de la moto en bas des immeubles, sur une roue par exemple. Ça, c’est vrai que ça m’énerve. Et ça me fait peur, parfois, quand je vois leurs comportements vis-à-vis des gendarmes ou des pompiers. C’était très calme ici, mais ça devient comme dans les grandes villes !
Comment vous situez-vous dans le quartier ?
Depuis 30 ans, je suis membre du conseil syndical des familles. Nous nous réunissons deux fois par mois, et sommes à l’écoute des habitants et des habitantes du quartier, qui viennent nous dire s’ils ont des problèmes. Tous les semestres, nous rencontrons la direction de l’organisme HLM, et nous leur faisons remonter les problématiques du quartier. Ça peut être des problèmes de voisinage, de logements. Le problème, c’est que la présidente a 84 ans, et que les jeunes ne veulent plus s’engager dans ce type d’actions. Alors je ne sais pas trop ce que ça va devenir. Sinon, depuis 3 ou 4 ans, je participe aussi aux actions de l’ACIAH (accessibilité, communication, information, accompagnement du handicap), une association qui a été créée par Bernadette Poiraud pour venir en aide aux malvoyants, non-voyants, et qui propose des ateliers d’informatique gratuits. On se retrouve pour échanger, on fait des pique-niques, et j’apprends à utiliser l’ordinateur. Heureusement que j’ai ça, ça m’occupe ! Même si j’ai quand même la chance d’être encore bien entourée : mon fils vient déjeuner avec moi tous les dimanches, ma fille et mon gendre me rendent plein de services, et j’ai aussi une amie, Raymonde, que je connais depuis l’école, qui vient tous les samedis avec son mari pour prendre l’apéritif ! Et c’est sans compter sur mes copines Thérèse, Christiane et Jocelyne, avec qui on joue à la belote. Ou sur ma sœur de Saint-Nazaire, qui vient tous les ans passer le mois de novembre avec moi : on récupère dix lapins, cinq chacune, et on fabrique notre pâté maison ! Mais c’est vrai que le Covid a quand même ralenti les visites, et ça me manque de ne pas voir encore plus de monde. Quand je voyais mieux, au moins je pouvais aller au marché le mercredi, je pouvais discuter.
Quel serait votre rêve pour vous et votre quartier ?
J’aimerais qu’on puisse mieux vivre ensemble. Qu’il y ait moins de freins liés à la barrière de la langue par exemple. Pas facile pour moi de communiquer avec les personnes qui ne parlent pas Français… J’aimerais aussi que les jeunes trouvent davantage de stages ou de travail. J’en vois traîner parfois jusqu’à pas d’heure, y compris des très jeunes, ce n’est pas normal ! Et j’aimerais aussi que les personnes qui habitent le quartier apprennent à mieux trier les déchets. On a pourtant tout ce qu’il faut à Châteaubriant, notamment une déchetterie, mais parfois on retrouve quand même des matelas dans les poubelles ! Si j’avais une baguette magique, j’installerais aussi davantage de bancs dans le quartier. Il y en avait un, mais il a été retiré. S’il y en avait en bas de chez moi, je sortirais peut-être plus, mais là, où voulez-vous que j’aille ?
Propos recueillis par Clémence Leveau