Jean-Luc est né ici. Son quartier de Bellevue l’a vu grandir, partir puis revenir avec sa fille. Aujourd’hui grand-père, Jean-Luc raconte son histoire intimement mêlée à celle des tours qui ont abrité toute sa famille. Lorsqu’elles ont été démolies, il s’est engagé au Conseil citoyen pour retrouver le lien fort et la convivialité du quartier vécus dans sa jeunesse.
Nom : DANET
Prénom : Jean-Luc
Âge : 59 ans.
Signes distinctifs : Le jardinage. Je cultive le petit morceau de potager de ma maman dans le quartier. Je suis beaucoup à l’écoute des gens. Ils aiment me parler de leur vie. J’ai la parole facile.
Engagements : Je m’investis avec le Centre social et le Conseil citoyen pour la convivialité et le lien entre les habitant.es.
Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?
J’aime mon quartier et j’aime les gens qui y habitent. Je suis né ici. J’ai connu les HLM. À l’âge adulte, je suis parti dans le sud de la France, du côté de Perpignan. Ma fille y est née. Nous y sommes restés jusqu’à ses 6 ans. J’ai pratiqué beaucoup de métiers, dans ma vie. À cette époque, je travaillais dans le domaine viticole. J’étais chargé de la taille des vignes, de planter et désherber l’ensemble. Je travaillais dans une coopérative fruitière. Le gendre de mon patron revenait dans la région avec sa femme. Il ne pouvait pas garder tout le monde. C’était une opportunité pour moi de revenir en Bretagne. Je suis rentré ici, avec ma fille. J’ai une attache très forte avec ce quartier. J’ai maintenant une petite- fille de 4 ans et un petit-fils de 9 ans. Ils habitent avec ma fille dans le même immeuble que moi, ainsi que ma maman, l’une des personnes les plus connues du quartier. Louisette, tout le monde la connaît.
Quelle vision avez-vous de votre quartier et de son évolution au cours des années ?
Quand les immeubles HLM ont été détruits, il y a une dizaine d’années, c’est aussi tout le lien et la convivialité qui ont été cassés. Les gens vivaient à l’italienne, tout le monde se parlait. Ils s’échangeaient des choses, du lait, des paquets de nouilles. Je me souviens des courses cyclistes, tous les ans. Les gens étaient contents de sortir. C’était convivial. Quand les tours sont tombées, les gens se sont dispersés. Ce fut un grand moment de tristesse. Je me souviens du regard d’une femme, quand la pelleteuse a commencé à démolir l’immeuble. Elle avait les larmes aux yeux. Elle m’a confié à cet instant : « C’est une partie de moi-même qu’on m’enlève. » Je ressentais la même chose, car ma maman y habitait, ainsi que mes sœurs, ma fille et moi.
« Quand les immeubles ont été détruits, il y a une dizaine d’années, c’est aussi tout le lien et la convivialité qui ont été cassés. »
Tous les matins, les enfants partaient ensemble à l’école en bande, ils étaient une quinzaine. Ils mangeaient ensemble. Les mamans turques leur faisaient écosser les haricots, il n’y avait pas de différence. Un partage des cultures. Je mangeais avec des collègues turcs. Ce que nous essayons de faire avec le Centre social, c’est de recréer du lien, du partage. Un livre a été réalisé pour célébrer cette histoire, à partir duquel nous avons joué quelques scènes de théâtre lors d’un festival à Lorient. Nous avons été relogés dans le même immeuble, avec ma mère et ma sœur. On n’aurait jamais quitté l’appartement sans cette garantie. Nous sommes très proches. Il n’y a pas un moment où ma maman reste seule. Tous les enfants et petits-enfants lui rendent visite et l’aident.
Comment vous situez-vous dans le quartier ?
J’ai fait beaucoup de choses dans mon quartier, à l’époque où un nouvel animateur arrivait au Centre social. Il ne connaissait pas le quartier ni les jeunes. J’ai fait le lien. On a créé des projets, des festoù-noz, des voyages où l’on allait travailler dans des fermes. On a fait la saison des fraises, à Brest. L’objectif était de sortir les jeunes du quartier. Les familles n’étaient pas très riches. C’était un moyen de s’évader pour ces jeunes, de voir autre chose que le quartier. Le partage est essentiel pour moi. Si une personne vient habiter dans ma tour et que je n’ai pas de lien avec, je n’aime pas cela. J’ai besoin de partager, des idées, des recettes, de l’entraide… Il y a des personnes isolées qui se mettent à part, mais parfois, il suffit d’une fête, d’une occasion, et quelque chose se débloque en elles. Quand je suis entré dans le Conseil citoyen, c’était dans l’idée de partager avec les jeunes et de recréer le lien que nous avions avant la destruction des tours. Notre projet est de créer un jardin partagé. J’ai observé à l’entrée de l’immeuble une rose trémière que des gens ont plantée spontanément. C’est un signe qu’ils ont envie d’embellir l’extérieur. Alors nous avons décidé de créer des petites jardinières partagées pour que les habitants plantent ce qu’ils souhaitent. Ensuite, il y aura le four… Faire sortir les gens de chez eux, leur proposer de partager avec d’autres personnes autour de points de rencontre, d’évènements, je pense que c’est ainsi que l’on peut recréer le lien que l’on avait perdu. Ce n’est pas facile, mais on ne va pas lâcher le morceau !
Quel serait votre rêve pour vous et votre quartier ?
Nous avons aussi le projet d’une coopérative pour que les gens s’aident entre eux. Nettoyer les carreaux, descendre les poubelles, aller faire les courses. Apporter un petit lien supplémentaire pour les personnes âgées ou qui ont du mal à marcher… C’est trois fois rien, mais cela rend service. On vieillit de plus en plus, plus tard on sera content d’avoir un voisin qui nous propose un peu d’aide. J’observe que le quartier s’est précarisé. Des personnes âgées vont à la Croix rouge, car leur retraite ne suffit plus… J’imagine une petite cabane qui pourrait servir de dépôt-vente pour des légumes achetés en gros, et donc vendus moins cher. Ainsi que la vente de pain. Cela aiderait beaucoup.
« On vieillit de plus en plus, plus tard on sera content d’avoir un voisin qui nous propose un peu d’aide. »
À propos de la jeunesse, je suis en contact avec certains jeunes du quartier. Je ne comprends pas toujours pourquoi ils détériorent les équipements du quartier. Pourtant on essaie d’organiser des fêtes, des tournois de foot, de l’escalade… Mais quand ils mettent le feu, je pense que c’est un manque d’éducation. La génération actuelle est plus dure. Peut-être qu’ils regardent trop internet, où les jeux vidéos ? J’aimerais leur dire qu’il y a moyen de faire des choses intéressantes ensemble. Cela peut être le jardinage, la menuiserie, le théâtre, le chant. Cela leur permettrait d’être un groupe et d’être cohérents entre eux. C’est important. Par exemple, je leur proposerais de prendre un crayon, un papier et de noter ce qu’ils ont envie dessus. Sur une dizaine de personnes, on pourrait créer une pièce de théâtre avec tout cela, avec un peu de chacun. Ce serait intéressant. Ces jeunes-là ont besoin d’un éducateur. Ils sont trop livrés à eux-mêmes. Le plus important, c’est le lien entre les habitants, jeunes et moins jeunes.
Propos recueillis par Marie Fidel