Casquette vissée sur la tête, il est parfois surnommé le « Président de Malakoff ». Mouloud Abdelkafi habite le quartier Nantais depuis 40 ans. Il y a fondé ce qui est devenu l’association maghrébine des seniors Nantais, qui propose chaque jour de la semaine un accueil chaleureux à toutes celles et ceux qui le souhaitent, mais aussi du soutien scolaire, des sorties, de l’assistance administrative etc. Une manière de tisser du lien entre générations, et de la solidarité entre tous.
Nom : Abdelkafi
Prénom : Mouloud
Âge : 73 ans
Signes distinctifs : une casquette de marin et un sens de l’accueil hors du commun.
Engagements : préside et a fondé l’association maghrébine des seniors Nantais.
Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?
Je suis né en Algérie il y a 73 ans. Marin de formation, je me suis retrouvé vers 16-17 ans dans une compagnie maritime à Marseille. J’aimais bien mon travail, je voyageais beaucoup. Mais un beau jour, après quelques années, on m’a demandé de me faire naturaliser pour conserver mon poste. C’était juste après l’indépendance : j’ai refusé, et j’ai dû aller trouver du travail ailleurs. Je suis d’abord allé vivre à Lyon, pendant deux ans, et puis on m’a parlé de Rennes comme d’une belle ville, alors j’ai décidé d’aller voir. Mais sur le chemin je me suis d’abord arrêté à Nantes, et je n’en suis jamais reparti ! Avec ma femme Radia et mes deux aînés, on a d’abord vécu dans un studio dans le centre-ville, jusqu’à ce que je cherche un logement plus grand et qu’on me propose le quartier de Malakoff. Ce n’était pas du tout comme maintenant ! Tout était encore en terre. Je m’y suis installé avec ma famille il y a 40 ans, en 1982, deux de nos enfants y sont nés. Comme je travaillais dans les usines LU de nuit, où j’ai conditionné des biscuits toute ma vie, c’était pratique d’habiter ici. Ma mère y a vécu aussi avec nous dans les années 2000, quand elle est tombée malade. Je m’en suis beaucoup occupé, c’est d’ailleurs un des moments où j’ai dû prendre de la distance avec l’association que j’ai créée, l’association maghrébine des seniors Nantais, parce que je ne pouvais plus y passer autant de temps. Parfois j’ai même été un peu découragé, mais c’est trop important ce qu’on fait ici, l’aide qu’on apporte. Et les habitant.es nous le rendent bien ! Malakoff, je m’y suis toujours senti bien.
« Il y a 40 ans, le quartier de Malakoff, ce n’était pas du tout comme maintenant ! Tout était encore en terre. »
Quelle vision avez-vous de votre quartier et de son évolution au cours des années ?
Malakoff, c’est un quartier qui a mauvaise réputation à l’extérieur, mais moi j’ai toujours trouvé qu’il y faisait bon vivre, d’autant qu’on a tout ce qu’il faut à proximité. Bureau de tabac, docteurs, boulangerie, boucherie, bureau de Poste… Et c’est sans compter la Maison de quartier des Haubans, qui a été incendiée en 2018 mais qui va être agrandie et rouvrira ses portes en 2023 avec une bibliothèque, une salle de gym, une salle de spectacle. Nous sommes au cœur de la ville, je ne sors du quartier que pour faire des grosses courses ! C’est sûr qu’il y a eu des moments difficiles, qui m’ont rendu et me rendent encore bien triste quand j’y pense, des incendies, de la violence… mais c’est important de dire que c’est le fait d’une minorité. Et il n’y a aucune raison que l’immense majorité, et notamment les jeunes, subissent cette réputation et soient discriminés quand ils cherchent du travail ou un logement, par exemple. Ma fille, elle ne voulait pas dire qu’elle habitait ici quand elle cherchait un emploi ! Ce n’est pas normal. On ne parle pas de toutes celles et ceux qui vivent leur vie tranquillement ici, font des études, deviennent professeurs, avocats ou médecins, ils et elles sont pourtant nombreux et nombreuses !
« Il n’y a aucune raison que l’immense majorité, et notamment les jeunes, subissent la mauvaise réputation du quartier et soient discriminés quand ils cherchent du travail ou un logement, par exemple. »
Comment vous situez-vous dans le quartier ?
Mon ami Jaouad qui est bénévole à l’association maghrébine des seniors Nantais, que j’ai créée, m’appelle le « président de Malakoff » (rires). Il faut dire que j’en ai croisé du monde ! Je l’ai fondé à la fin des années 80, après un échange avec Jean-Marc Ayrault, qui briguait son premier mandat de maire de Nantes. A l’époque, je militais à l’amicale pour les Algériens d’Europe, et il m’a proposé de créer une association pour faciliter le dialogue entre Tunisiens, Marocains, et Algériens, dans le quartier et ailleurs. De nos discussions est née l’association culturelle franco-maghrébine, qui a changé de noms plusieurs fois. Il revient nous voir parfois avec Brigitte, sa femme, pour prendre des nouvelles. La dernière fois, elle a regardé des photos qu’on a affichées dans le local, et elle en avait les larmes aux yeux de se remémorer tous ces souvenirs ! On a un local, au milieu du quartier, et on accueille tous les jours de la semaine les personnes qui veulent venir, qu’elles soient maghrébines ou pas, du quartier ou pas : on accueille tout le monde ici. Je me souviens de l’inauguration il y a 7 ans, c’était un moment très joyeux, et de grande fierté, ça faisait un moment qu’on le demandait, ce local. Il y avait plein d’élu.es, madame le Maire, Johanna Rolland, s’est déplacée, comme près de 200 personnes au total !
« L’association maghrébine des seniors Nantais accueille tous les jours les personnes qui veulent venir, qu’elles soient maghrébines ou pas, du quartier ou pas : on accueille tout le monde ici. »
Beaucoup de gens qu’on reçoit ici tous les jours vivent seul, ça leur fait du bien de discuter avec d’autres, de jouer aux dominos ou aux cartes, de prendre un thé. Et puis on fait de l’accompagnement administratif aussi, on aide à récupérer des papiers, à prendre des rendez-vous avec les bonnes personnes des services sociaux et familiaux quand c’est nécessaire… L’année dernière, j’ai même appuyé une quarantaine de dossiers auprès de Nantes Habitat pour aider des personnes à accéder à un logement. Depuis le début, on assure aussi du soutien scolaire auprès des enfants de CM1/CM2 jusqu’au bac. Au début, ils et elles venaient en cachette, ne voulaient pas trop que ça se sache… Mais ce n’est plus du tout comme ça maintenant ! On organise aussi des sorties avec des jeunes et des séniors, c’est tellement agréable de voir la joie que ça leur procure d’aller découvrir Paris ou Le Mont Saint-Michel ! Le local, j’y suis tous les jours, c’est un peu comme ma deuxième maison. La dernière fois, un de mes neuf petits enfants est passé me voir, et comme ce n’était pas moi qui servais le thé aux personnes présentes, il m’a dit : « Papy, ils t’ont viré ou quoi ? » J’ai reçu des médailles pour mon engagement dans le quartier, c’est une grande reconnaissance pour moi et pour mes proches, mais je ne fais pas ça pour ça : je suis croyant, alors aller vers mon prochain, rendre service, c’est tout ce qu’il y a à faire !
Quel serait votre rêve pour vous et votre quartier ?
Je voudrais qu’il y ait plus d’espaces verts dans le quartier. Et des crèches. J’entends les gens demander ça, et ils ont raison. Et puis ce serait bien qu’il y ait plus de médiateurs et de médiatrices, pas seulement de passage, mais qui restent et qui puissent répondre encore mieux aux besoins des jeunes. La mairie a mis en place une plateforme, mais je ne suis pas sûr que ce soit suffisant. Il faudrait vraiment plus d’aides pour trouver des stages et des emplois. Et si j’ai un conseil aux jeunes, je leur dirais d’aller voter ! Ici, la plupart ne votent pas, mais il faut qu’ils s’imposent, qu’ils montrent qu’ils existent : c’est comme ça qu’on va y arriver et faire entendre notre voix ! Il ne faut pas se cacher derrière le racisme ou l’antisémitisme. Je voudrais vraiment que la voix des jeunes soit plus entendue.
« Si j’ai un conseil aux jeunes, je leur dirais d’aller voter ! »
Propos recueillis par Clémence Leveau