Poète et musicien — Quartier Kerandon — CONCARNEAU
Tout le monde l’appelle « Pat ». Ancien chauffeur taxi à Paris, il est parti malgré lui quand le système Uber s’est imposé. Plus possible de payer son loyer. Déchirement. À Concarneau, la porte de ses amis s’est grande ouverte. Alors, Patrick s’est immergé dans ce paysage breton. Et quand le monde ne tourne pas rond, ce poète-musicien trouve l’harmonie à travers ses mots et sa guitare.
Nom : PEREZ
Prénom : Patrick
Âge : 67 ans.
Signes distinctifs : Je suis assez râleur. Hyper nerveux et hyper sensible. Je suis un solitaire, mais j’aime bien avoir du monde autour de moi, des gens intéressants.
Engagements et projets : Ancien sportif de haut niveau pendant 15 ans, j’étais cycliste. Et je suis passionné par la guitare, l’écriture aussi. Je suis autodidacte.
Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?
J’ai été adopté en 1954. J’avais 4 ans. Je porte le nom espagnol de mes parents adoptifs. J’étais sportif de haut niveau, dans ma jeunesse. Je faisais du vélo assidûment. J’ai commencé à travailler à l’âge de 18 ans dans le bâtiment. J’ai grandi à Argenteuil en HLM. Les communautés africaines, maghrébines, tout le monde s’accordait bien. J’avais des parents admirables. J’ai eu beaucoup de chance de ce côté-là. Je me suis marié en 1990. Nous avons eu notre fille en 1993. Nous habitions en Seine-et-Marne. Ma femme est décédée en 2002. J’ai eu beaucoup de coups durs dans ma vie. Je suis né à Paris, j’y ai vécu toute ma vie. J’étais taxi de nuit, pendant 25 ans. Un grand souvenir, c’est lorsque j’ai conduit Monsieur Bohringer toute une nuit, de bistrot en bistrot. Il m’a invité à l’accompagner… Un monsieur d’une gentillesse extraordinaire ! J’ai eu Depardieu, Claude Brasseur, Sheila, Florent Pagny. Énormément d’artistes, de journalistes. Je gagnais bien ma vie. Je méritais mon salaire, je travaillais 11 heures 7 jours sur 7. Mais Uber est arrivé avec Sarkozy. Il m’a cassé ma vie, en changeant tout le système des taxis parisiens, sans demander notre avis. Il n’avait pas le droit d’y toucher. Du jour au lendemain, je me suis retrouvé avec 800 euros par mois. Je ne pouvais plus payer mon appartement. Une amie de longue date, Christine, m’a dit : « Tu n’as qu’à venir à Concarneau ! ». Elle avait une maison à la ville close. Je suis arrivé ici comme un cheveu sur la soupe. C’était en 2015, juste après les attentats de novembre à Paris. Avec son mari Marcel, ils m’ont énormément aidé, considéré, jamais dénigré. Cela s’appelle l’amitié. Je les considère comme ma famille.
« J’ai eu beaucoup de coups durs dans ma vie. Christine et Marcel m’ont énormément aidé, considéré, jamais dénigré. Cela s’appelle l’amitié. »
Quelle vision avez-vous de votre quartier et de son évolution au cours des années ?
J’ai vécu en ville close chez mes amis pendant 4 ans et je suis arrivé dans ce quartier il y a 3 ans… Au début, le quartier me plaisait. Il y avait la forêt à côté. L’appartement était lumineux, spacieux : 48 mètres carrés pour moi tout seul. Je ne savais pas qu’il y avait un trafic de drogue épouvantable. La BAC de Quimper a fait plusieurs descentes et ça s’est calmé. Mais je trouve que cela s’est dégradé. C’est sale, il y a peu d’entretien… Je préférerais vivre ailleurs.
J’aime beaucoup me balader en ville close, saluer mes amis qui y habitent. Je fais aussi le tour de la forêt, il y en a pour une heure et demie. Je vais aux champignons, aux châtaignes. Il y a du cèpe, dans le bois de Kerandon. Je ne vais pas beaucoup à la mer, sauf si des amis viennent me voir. Quand j’y repense, j’ai écrit une chanson sur Concarneau en arrivant, en 2015. « Pays de lumière, d’hommes et de musiques, qu’il fait bon vivre les joies celtiques, de ces paysages baignées de pierres orgueilleuses, cette terre inconnue m’est apparue sauveuse. (…) Mon sourire revient au travers des brumes, mes yeux s’écarquillent loin de ce bitume. »
Comment vous situez-vous dans le quartier ?
J’ai quelques bons amis, des voisins avec lesquels je discute bien. Avec Patrick, nous allons à la pêche de temps en temps à Rosporden. Une petite dame vient d’emménager au rez-de-chaussée. Elle est toute seule, je vais aller l’aider à monter ses meubles, accrocher ses tableaux, ses lustres. Cela va m’occuper un peu. Avec le voisinage, il faut ne pas trop se faire remarquer, être poli, correct. Le respect de l’autre est très important. Quand on vit seul, on s’ennuie… Je suis philatéliste, je regarde la télé, mais j’ai aussi la musique et l’écriture quand je suis motivé… J’ai commencé à écrire mon premier texte en 2002, il y a 20 ans, après le décès de mon épouse. Je joue et je chante des chansons de ma génération : George Brassens, Barbara, Maxime Le Forestier. Et j’écris aussi mes propres textes, je les mets en musique. Tout en rime et alexandrin : « Je suis un oiseau magnifique, capable de tous les élans. Je traverse tout l’Atlantique en trois petits tours de cadran. Vole librement, vole dans les cieux. Je m’en vais à tire-d’aile, géant poussé par le vent, car personne ne m’interpelle, là-haut je suis un cerf-volant. » Il y a toujours une morale dans mes chansons, et beaucoup de vécu. J’ai écrit un texte pour ma fille. Nous sommes fâchés. Cela me prive de mes six petits-enfants. J’ai toujours des inspirations sur des thèmes très précis, jamais au hasard. Sur l’espérance, la nature, l’amour. J’ai chanté ces textes dans des caves à Paris et ici, avec une bande de musiciens, on se retrouvait au café Le Cabestan chaque semaine. J’ai aussi chanté au Secours populaire. Tous les jeudis, je prenais ma guitare, mes textes et j’allais faire chanter une trentaine de personnes. Cela leur donnait le sourire alors j’étais content.
Quel serait votre rêve pour vous et votre quartier ?
Je rêve de partir dans les Pyrénées, changer totalement de vie, me sentir plus près d’une nature qui me plait. Le soleil, et les paysages de neige l’hiver. La société dans laquelle je vis actuellement ne me plait plus du tout. C’est une société dans laquelle je ne me sens pas bien. Si j’avais un peu d’argent, je lâcherais tout, je m’en irais loin ! Ce n’est pas la société ni la vie que j’ai connues. Je ne pense pas cela par rapport à mon âge, mais aux valeurs. L’homme n’a plus de valeur. L’écriture n’a plus de valeur.
Aux jeunes, je ne chanterais pas mes chansons tristes… J’ai une chanson qui dit : « braves gens, dansez maintenant, embrassez-vous gentiment, aimez-vous tendrement au bout du cheminement (…) Point de haine, de ressentiments. Joie ramène nos sentiments. Allez-y tous ensemble, chantant jusqu’au bout du firmament. » Quand je la chantais à Paris dans les caves, les gens appréciaient, ils valsaient. D’ailleurs, je serais heureux de chanter de nouveau pour des personnes. Je dois avoir 1200 chansons au total. Il ne faut pas hésiter à me solliciter !
« Point de haine, de ressentiments. Joie ramène nos sentiments.
Allez-y tous ensemble, chantant jusqu’au bout du firmament. »
Propos recueillis par Marie Fidel