Simplice vit à Bréquigny, mais son quartier de cœur reste Le Blosne, après y avoir vécu pendant 44 ans. Il ne lâchera pas ses vieux voisins ni son pharmacien ! Son regard sur la cité est celui d’un bâtisseur, qui a quitté le Togo pour devenir maçon en France. Simplice connaît Rennes de l’intérieur, depuis les fondations, lui qui y a édifié de nombreuses constructions, mais surtout sa propre vie.
Nom : TIGOÉ
Prénom : Simplice
Âge : 76 ans.
Signes distinctifs : Je crois que je suis une pièce unique, parce que le jour de ma naissance, ma maman a dit à tous ceux qui étaient autour d’elle : « regardez-le bien ce petit-là, c’est le seul et unique modèle ! Il n’y en aura pas d’autres ! ». Elle a cassé le moule !
Engagements : les ambassadeurs du Blosne, le comité de quartier, les chants du Blosne.
Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?
J’ai quitté le Togo à 17 ans. Je suis venu à Saint-Malo, pour apprendre le métier du bâtiment, avec un copain. Mon oncle m’avait initié au métier de maçon, cela me plaisait énormément. Après ma formation, j’ai été embauché tout de suite. J’ai travaillé au barrage de la Rance. Je ne m’y retrouvai pas. Je voulais apprendre le vrai métier du bâtiment : construire une maison depuis la fondation jusqu’à la toiture. Le centre de formation m’a orienté vers l’entreprise STABA qui démarrait de gros chantiers à Rennes. C’est comme cela que j’ai atterri ici, en février 64. Je me suis marié ici, j’ai eu quatre enfants et sept petits-enfants. Je suis resté 20 ans sans retourner au Togo. Quand je suis revenu, ma maman se demandait si elle rêvait ou pas, parce qu’elle croyait ne plus jamais me revoir ! J’ai encore deux sœurs au Togo. Mes parents sont décédés.
Avec mon épouse, nous nous sommes tout d’abord installés dans la grande tour Sarah Bernhardt, au 18e étage. Notre fille est née ici, dans l’appartement, le temps que les ambulanciers arrivent… Ensuite, nous avons déménagé au Blosne, au 6 avenue d’Italie, parce qu’un T4 se libérait dans le même immeuble que notre nourrice. Une chance formidable pour s’adapter à nos horaires de travail. Mon épouse, agent pénitentiaire, travaillait à la prison des femmes. Elle avait des horaires changeants, de nuit parfois. Après avoir acquis les bases du métier, j’ai suivi des stages et formations de chef d’équipe et de cadre du bâtiment. Alors, j’ai eu envie d’inculquer ce que j’avais appris à mes frères au Togo. J’ai obtenu un contrat avec une société française, pour travailler durant deux ans au Gabon, de 77 à 79. J’étais constructeur de travaux.
« Quand on sait recevoir, il faut savoir donner aussi…
On doit faire tous ensemble et gaiement. »
Quelle vision avez-vous de votre quartier et de son évolution au cours des années ?
Avec ma femme nous avons vécu dans le quartier du Blosne de 1970 à 2013. Nous sommes arrivés au cœur de la construction. J’y ai participé pleinement, comme chef de chantier. Avec mon équipe, nous avons construit le bâtiment accolé à Pôle emploi, entre autres. En coulant la première dalle, la nuit est tombée, et j’ai été obligé d’allumer mes phares de voiture pour que nous puissions finir de talocher… J’habitais sur place, c’était pratique pour manger chez moi le midi. À l’époque, la population du Blosne était très cosmopolite, avec les Nord-Africains venant du Maroc, d’Algérie, de Tunisie, des Espagnols, des Portugais. L’immigration d’Afrique de l’Ouest, puis de Syrie et Turquie est plus récente. Beaucoup étaient ouvriers comme moi. Je me souviens de la baraque du Blosne, qui a été détruite pour laisser place au pôle associatif. Elle servait au départ de maison de chantier pour les entreprises, puis de cantine pour les ouvriers. Après les chantiers, elle a été confiée aux anciens du quartier. Les Marocains qui avaient travaillé sur la construction discutaient, buvaient le thé, jouaient aux cartes. Un film retrace cette histoire. Ce que j’ai aimé, dans le quartier, c’est la façon dont la population discutait. Que ce soit dans le travail ou dans le quartier, les gens allaient les uns vers les autres, on rigolait, on organisait des fêtes. Mais depuis une dizaine d’années, le quartier a changé. Les gens se sont renfermés sur eux… La drogue est arrivée, il fallait trouver des solutions. Cela a divisé les gens.
« Je suis toujours au Blosne, moi ! Je ne veux pas le quitter ! »
Comment vous situez-vous dans le quartier ?
En rentrant du Gabon, nous avons acheté un appartement au Blosne. Quand les enfants sont partis, nous avons cherché un plus petit logement. Nous habitons depuis 9 ans à Bréquigny. On adore notre appartement, c’est très bien, c’est calme. Mais Bréquigny n’est qu’un dortoir pour moi. Je suis toujours au Blosne, moi ! Je ne veux pas quitter mon quartier ! J’ai l’habitude de m’y rendre, de discuter avec les gens de ce que l’on pense, de ce que l’on aimerait qu’il se passe et on interpelle les élus. Quand on vit en société, il faut s’entraider. Quand on sait recevoir, il faut savoir donner aussi… Si c’est dans un seul sens, ça ne marche pas. On doit faire tous ensemble et gaiement. Je me souviens des ambassadeurs du Blosne. On émettait des idées, des projets. On réfléchissait aux problèmes de stationnements, de circulation… J’étais aussi dans le comité de quartier, on organisait des fêtes, des kermesses. J’ai aussi contribué aux chants du Blosne avec l’association Ar Nomadis, qui est passée auprès des gens pour les faire chanter ou raconter des histoires. On peut les écouter dans le quartier, sur des bornes. D’un naturel très joyeux, je ne loupe rien. Car quand les gens sont contents autour de moi, je suis heureux également !
Quel serait votre rêve pour vous et votre quartier ?
Les associations ont beaucoup apporté au Blosne. Elles permettent aux jeunes de bouger, de s’amuser, et tant qu’ils s’amusent, ils ne pensent pas à faire des conneries. C’est ce que je remarque. Les jeunes, il faut les entraîner, il faut être à côté pour leur montrer le droit chemin. Si j’avais une baguette magique, je souhaiterais en premier que les jeunes aient du travail. Je ne pense pas que je me trompe, mais il y a beaucoup de jeunes dans le quartier qui tournent en rond. Ils sont en bonne santé, et ne travaillent pas. Cela m’inquiète beaucoup. On se demande pourquoi ils sont là, dehors. Eux-mêmes l’ignorent. J’ai remarqué qu’ils ne venaient pas aux réunions d’information de Pôle emploi. Alors qu’elles leur sont destinées. Je suis à Rennes depuis 1964. J’ai 4 enfants. Jamais à 19 heures, on ne les voyait dehors. Aujourd’hui, les jeunes traînent jusqu’à minuit. Ce n’est pas normal. Les jeunes ont besoin de travailler, de se former. Il faut que l’on puisse les accompagner vers ce qu’ils souhaitent accomplir. Si je suis capable de les aider, je ne demande pas mieux ! C’est une question de volontariat. Qui va leur montrer cette volonté ? Jusqu’à aujourd’hui, je ne crois pas avoir la réponse…
Mon deuxième souhait serait que les gens de la ville connaissent mieux le Blosne, qu’ils arrêtent de penser que les gens d’ici sont des coupeurs de tête ! Mais je crois que ça évolue… J’aimerais que les communautés s’entendent comme avant.
Propos recueillis par Marie Fidel