Portraits de sportif. Issa BENOIT SPELTDOORN, le sport, sa réussite | Vannes

Décrochage scolaire, bagarres, trafic… Plusieurs fois, Issa a franchi la ligne, adolescent. Heureusement, il détient très tôt une ressource puissante, à portée de main : le sport et plus particulièrement la boxe thaïlandaise. L’adrénaline, salvatrice, l’apaise, tout autant que le respect de ses entraîneurs. À sa place, Issa sent que son avenir professionnel se joue peut-être là. Sans détour, il raconte son chemin jalonné par le sport, au cours duquel il s’est forgé une expertise pour aider à son tour les jeunes de son quartier, en tant que médiateur sportif.

Nom : BENOIT SPELTDOORN

Prénom : Issa

Âge : 35 ans.

Signes distinctifs : Droit et sérieux, Issa est quelqu’un de « respectueux, respecté et respectable ».

Sport(s) pratiqué(s) : Boxe thaïlandaise pendant 17 ans, à très haut niveau et football.

Pouvez-vous vous présenter ?

J’habite à Kercado. Je suis un enfant du quartier. J’ai été élevé uniquement par ma maman. Elle a fait de son mieux. Mon père est parti quand j’avais 12 ans. Il y avait beaucoup de conflits entre eux. Concrètement, c’est le quartier qui m’a éduqué. C’est dehors que j’ai appris à être un homme. Très vite, je me suis beaucoup bagarré. J’ai dû faire de l’argent, j’ai suivi les copains et les copains m’ont suivi. J’ai été très tôt dans les grosses bêtises. Le fait de faire de la boxe m’a aidé. J’avais un entraîneur qui habitait aussi le quartier. Il me tenait. Il était chaque jour derrière moi, il m’envoyait à la salle et me disait : « reviens demain. ». Ils m’ont fait une licence gratuite, car ils savaient que je n’avais pas les moyens. J’étais trop content. Ils m’ont proposé de faire de la compétition et de me prendre en stage. J’étais en échec scolaire. J’ai arrêté l’école en 5e. Ils ne m’ont jamais lâché, et ont parfois été très durs. Je ne pouvais pas faire tant de bêtises, car ma licence allait sauter. Je craignais que mon coach ne m’accepte plus à la salle, qu’il ne me regarde plus. Arrivée vers mes 16 ans, la drogue commençait à bien se vendre ici. Et j’ai dû faire un choix : lâcher certains amis pour éviter d’aller en prison avant mes 18 ans.

« La boxe m’a fait du bien, cela m’a canalisé et empêché d’aller en prison. »

Donc je suis parti du quartier, pendant un an. Quand je suis revenu, j’ai repris la boxe avec un niveau et un engagement différents. Petit à petit, j’ai essayé d’arrêter les bêtises, même si c’était difficile. Je me suis vraiment accroché à la boxe. Je m’entraînais. J’avais moins de temps pour traîner, et cela m’a fait du bien, cela m’a canalisé et empêché d’aller en prison. Presque tous mes amis ont été emprisonnés. Comme j’ai arrêté l’école très tôt, j’ai dû apprendre tout seul à lire et écrire correctement. J’ai commencé à écrire des poèmes, comme celui-ci : « La nuit porte conseil, je me plonge dans un bain de minuit tout seul, habité de pensées noires. Que vais-je faire ? Que vais-je dire ? Où vais-je aller ? Un radeau pour m’emporter au large sans quoi je ne saurai jamais naviguer… » C’est devenu un exutoire, comme le sport.

 

Quelle est votre pratique sportive ?

J’ai fait de la boxe thaïlandaise pendant 17 années, à un très haut niveau. Quand je suis revenu dans le quartier, après mes grosses bêtises, j’ai eu envie de changer. J’ai arrêté de fumer. Je me suis entraîné, j’ai repris la boxe de zéro. J’avais perdu mes capacités, tout le monde le disait. Je me suis concentré que sur la boxe. Entraînement deux fois par jour. En un an et demi, je suis passé d’amateur à semi-professionnel. J’ai commencé à gagner un peu d’argent. Mais je boxais trop, et j’ai eu des problèmes de santé. Qu’est-ce que j’allais faire après ? Il fallait que je trouve une solution. Le club m’a proposé une mission de service civique pour donner des cours. J’ai aimé transmettre, mais ma pratique de compétition a baissé. J’avais besoin de réfléchir, alors j’ai déménagé pendant presque 4 ans à Nantes. Arrêt total du sport. Je suis revenu et c’est là que tout a changé.

 

Que représente le sport pour vous ?

Le sport représente tout. C’est ma locomotive. C’est toute ma vie. À chaque fois que je m’en suis séparé, j’étais mal. J’ai toujours été en quête d’adrénaline. C’est pour cela que j’allais vers les bagarres ou addictions. Mais le sport, cela en donne tout le temps. J’ai connu des choses très difficiles dans ma vie et sur le ring. La boxe thaïlandaise m’a appris à me contrôler, me canaliser. C’est un art martial. C’est pour cela que j’ai le mot « respect », dans ma vie. On apprend à être bon avec les autres. On touche à tous les sens et au savoir-vivre, c’est magnifique. Cela m’a fait beaucoup de bien.

« Le sport représente tout. C’est ma locomotive. C’est toute ma vie. »

Mais c’est surtout le fait de transmettre qui a été une révélation. Je ne savais pas que j’étais bon pour ça. J’ai trop aimé. Je me suis dit : « J’ai enfin trouvé ce qui me plait. » Je pensais que l’on pouvait vivre de la boxe, faire quelques combats, donner des cours et être payé, mais ce n’était pas aussi simple, il fallait des diplômes. Quand je suis rentré de Nantes, comme j’aidais souvent les jeunes du quartier, le DSU (Développement Social Urbain) m’a proposé de devenir médiateur sportif. Le service des sports créait un poste. Il fallait tout inventer ! J’ai fait ce dont j’étais capable, en m’inspirant de mes coachs, naturellement. Cela marchait bien. J’ai pris des automatismes de travail pour aller vers, comprendre, aider. Très simplement, avec un ballon, on peut créer un lien et lancer une discussion avec un jeune.

À l’avenir, quelles évolutions sportives aimeriez-vous voir se développer, pour vous, votre quartier, ou de manière plus générale ?

Je vais tenter d’obtenir un maximum de diplômes pour évoluer. J’ai passé un CQP (Certificat de Qualification Professionnelle) Jeux sportifs et jeux d’opposition. À 35 ans, j’ai obtenu le premier diplôme de ma vie, c’est une consécration. Je suis heureux ! En septembre, je retourne à l’école pour faire un BPJEPS éducateur sportif. Tous les mercredis après-midi, j’anime un atelier de foot. Une quarantaine d’enfants de 5 à 17 ans viennent jouer, garçons et filles. On a vu une évolution au niveau du jeu en premier, mais aussi du comportement. Les jeunes apprennent le respect de l’heure, de la tenue, de la personne. J’aimerais qu’il y ait un club de foot dans le quartier.

« Si on avait un club de foot, on pourrait représenter les couleurs de Kercado. Des gens de toutes origines qui ne font qu’un dans une équipe, je trouve cela magnifique ! »

C’est une forte demande. Souvent, on dit que les jeunes des quartiers n’ont rien, c’est pour cela qu’ils dérapent et je pense que c’est faux. Ici, on a tout ce qu’il faut. On est à Vannes, on a la mer derrière. On parle 70 langues. On a toutes les origines, toutes les religions. C’est populaire, c’est joyeux. Si on avait un club de foot, on pourrait représenter les couleurs de Kercado. Des gens de toutes origines qui ne font qu’un dans une équipe, je trouve cela magnifique ! Aux jeunes de mon quartier, je leur souhaite de réussir, d’être heureux dans leur vie, d’avoir quelqu’un qui les suit comme on a fait avec moi, et puis qui les laisse partir et qu’ils y arrivent. Je sais qu’il y a des jeunes qui ont cette qualité de vouloir aider les autres. Ils feront comme on a fait avec moi.

 

Propos recueillis par Marie Fidel

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