Histoire de la création:
Suite à la période inédite de confinement et suite à l’observation, au début du déconfinement, d’un sentiment grandissant de méfiance de «l’autre», ressenti comme une menace lors des parcours quotidiens, VILLANTHROPE a décidé d’engager une action auprès de la population de son lieu de résidence: la ville de Rennes.
Nous voulions aller vers les citoyens afin de connaître leur état de santé mentale :
« comment allez-vous ? », d’avoir des indices sur leur rapport à l’espace extérieur pendant le confinement: les trajectoires, les stratégies utilisées pour contourner le cadre règlementaire, les espaces découverts durant la balade quotidienne autorisée, les espaces ressourçants, …, et enfin de redonner à l’espace public sa fonction principale, celle de l’espace de la vie collective et de la rencontre (Charte de l’espace public-2013). Il n’était donc pas question de réaliser une interview ou un micro-trottoir, nous tenions à prendre le temps de la rencontre, de la discussion voire de l’expérience d’un parcours de vie quotidienne avec la personne.
En collaboration avec la Compagnie KISLOROD, et au fil des contraintes dûes au contexte du déconfinement, le « salon dans la ville » s’est façonné.
Le principe du «salon dans la ville»: un savoureux mélange d’espaces, d’ambiances, de temps, de traces et de souplesse
Nous avons pensé «Le salon dans la ville» comme l’installation éphémère d’un espace «salon» sur l’espace public, « un chez-soi » en dehors de chez soi.
Le but: interpeller, donner envie de faire une pause, de partager un café, de parler de soi, d’échanger, … dans un lieu connu et reconnu dans l’imaginaire collectif comme un lieu rassurant et confortable, propice à l’intimité = le salon.
Au sein de cet espace, de nombreux objets étaient exposés pour agrémenter le salon mais aussi utiles pour engager la conversation et parler de soi: «si vous aviez à choisir un objet, …».
L’expérience a débuté début juillet. Nous nous sommes installées dans 8 quartiers rennais, représentatifs, à nos yeux, de la diversité des quartiers, des habitants et des typologies d’espaces. L’installation durait, dans chaque lieu, une demi-journée. Nous avons informé les partenaires institutionnels tels que les maisons de quartier et les centres sociaux de notre présence sur leur quartier respectif, mais le lieu et la date étaient tenus secrets pour garantir l’effet de surprise et la spontanéité des usages et de la parole des habitants. Cependant, ils ont été invités à être attentifs aux changements dans leur environnement proche : des traces éphémères de notre passage seraient présentes sur l’espace public. Nous imaginions ces traces comme vectrices de la continuité de la rencontre et de la discussion : « que s’est-il passé ici? »…,« j’y étais », …
Les réactions
Elles ont été nombreuses et variées… Cette liste est, sans surprise, non exhaustive:
- de la curiosité et de l’envie: « j’aurais aimé que mes enfants soient là avec moi », à la suspicion: « vous travaillez pour qui ? », « je n’ai pas le temps », « c’est gratuit ? »;
- un besoin d’être en lien avec l’autre: « ça fait du bien un endroit comme ça », « la ville est un cimetière, les gens ne se parlent plus », « je suis restée enfermée chez moi pendant tout le confinement, comme dans une boîte » ;
- un besoin de partager son intimité, sa vie quotidienne, ses besoins, de se livrer: « ma voiture est à la fourrière, où dois-je aller ? » [la voiture de cette personne était son seul refuge depuis quelques temps, il est depuis recueilli par l’église, au moins pour la durée de la nuit], « pouvez-vous me lire cette lettre ? » [la dite lettre informait le monsieur, qu’après 10 années d’attente, sa femme algérienne pouvait enfin rejoindre légalement le sol français et donc son mari] ;
- une envie spontanée de prendre part à l’amélioration de son cadre de vie: « j’aurais mis le banc ailleurs, il faut aussi de l’ombre » [sur une petite dalle commerciale refaite il y a à peine un an, noire de bitume, sans végétal ni arbres, sans bancs, nous avions décidé de laisser des traces d’urbanité pour que les gens s’arrêtent et se posent sur cette dalle. À la craie, nous placions des bancs et des arbres symboliques, la personne avait son mot à dire !!] ;
- une appropriation spontanée de l’espace salon et de l’espace public à proximité, pour preuve les dessins à la craie par les enfants, l’envie d’une pause avant de rentrer chez soi
De cette expérience, on retient quoi?
À aucun moment, la peur de la contamination par l’autre n’a été évoquée; à aucun moment, nous n’avons senti de la réticence à être à côté de l’autre… La curiosité, le besoin, l’envie de relations sociales ont presque toujours eu le dessus sur l’appréhension de contracter la maladie.
On retient les rencontres, « les vraies »;
On retient les gens qui se livrent, « qui vident leurs poches », qui nous remercient 10 fois, qui ont du mal à partir, qui reviennent pour nous apporter une poignée de haricots verts pour notre déjeuner ou un dessin parce qu’ils ont passé un bon moment et que ça leur a fait du bien;
On retient aussi les gens qui passent, qui n’ont pas le temps, qui nous évitent et ceux qui nous observent de loin ou bien qui nous prennent en photo comme une curiosité.
On retient des endroits vides qui, avec un tapis et une comtoise, un peu de café et des sourires ont repris vie le temps d’un instant; on en retient aussi d’autres où nous nous sommes senties en dehors de la vie du quartier, regardées comme des bêtes curieuses… Heureusement, dans ce lieu, la petite Serena s’est emparée de nos craies pour dessiner sur le parvis.
On retient un sentiment de liberté d’avoir pu ÊTRE sur l’espace public, juste être là, sur l’espace commun, partir à la rencontre de ceux qui vivent là et partager avec eux un bout de vie. « Vous vous installez sur la place ? » demande un passant. Mais oui pourquoi pas, après tout?
Si on devait écrire la suite: de la vie dans l’espace public, c’est vital…
Avec une installation éphémère de petite envergure et un peu d’audace, nous avons récolté les ingrédients essentiels pour penser autrement la fabrique de la ville, pour penser autrement le rapport humain/bâti (espaces publics, habitat, logement, la question des limites, de la liberté, …): la dimension de proximité et la dimension de confiance.
Avec une installation éphémère de petite envergure, nous avons provoqué de larges sourires qui ont un impact sur la santé mentale des habitants.
Alors (Ré)enchantons notre quotidien en concevant des espaces publics vivants, permettant une palette d’activités variées, de tailles différentes pour favoriser plus ou moins l’intimité, la rencontre, le repos et induisant une liberté plus conséquente.
Autrices et (ré)enchanteuses d’espaces publics : Marie & Morien
VILLANTHROPE est une entreprise de l’ESS, basée à Rennes, engagée dans la fabrique de territoires à échelle humaine: des territoires favorables à la santé, à l’inclusion et aux interactions sociales de tous, du bien grandir au bien vieillir. Par ses activités de conseils, elle vise à enrichir les projets d’aménagements du territoire sous le prisme de l’urbanisme favorable à la santé et de l’accessibilité universelle.
KISLOROD est une compagnie indisciplinaire. À la frontière entre les arts vivants, les arts plastiques, la science… Compagnie artistique et curieuse