Artiste autodidacte, Virgile Gémonet cherche tous les prétextes (paroles, photographie, arts plastiques) pour rencontrer l’autre et lui demander : « raconte-moi ta vie ». Avec sa complice Stéphanie Poupeau, co-fondatrice du collectif Nejma, ils portent des projets de territoire depuis plus de 15 ans, bien décidés à n’exclure personne de la magie de l’art pour explorer la grande palette des couleurs humaines…
Quelle est votre histoire, votre démarche artistique ? Le collectif Nejma ?
Disons que je suis artiste autodidacte. Mais en fait, je suis surtout quelqu’un qui va à la rencontre des gens. Cela fait plus de 15 ans que nous faisons des projets de territoire, avec le collectif Nejma, dont Stéphanie Poupeau, peintre en décor et scénographe est la co-fondatrice. Nous avons commencé dans les années 2000 avec le projet « Cabine photographique », une machine à autoportrait, pour représenter la diversité humaine. Le selfie n’existait pas. Cela nous a catapultés dans les arts de la rue. On pensait que le théâtre de rue touchait toutes les classes sociales… Mais on a constaté durant nos tournées que nous ne voyions jamais certains publics. Le gars au troisième étage, sur son balcon, il ne descendait jamais. On s’est dit qu’on allait monter le rencontrer. Ce fut le déclic. Avec notre Cabine, nous avons fait des portraits d’anciens, en maison de retraite, et de détenus aussi, lors d’une tournée en Bretagne dans les établissements pénitentiaires. On a réussi à faire entrer l’appareil photo au parloir, c’était très fort. Je me souviens d’un homme qui a pu se photographier pour la première fois avec sa fille de deux ans. Il s’est passé quelque chose d’humain et de magnifique à ce moment-là.
La culture, c’est avant tout l’émotion. Elle sort des gens et ne prend pas le nom de tel ou tel illustre écrivain ou artiste.
Ma première question est : « c’est quoi ta culture ? » Puis je vois comment créer une passerelle entre la culture de l’autre, la mienne, et la culture institutionnelle. Au début, je venais avec des propositions artistiques. Je travaillais en surface. Aujourd’hui, je viens écouter. J’ai plus un travail de médiateur, sociologue… que sais-je ? Je suis aussi éducateur parfois, quand j’oriente les personnes vers les services publics, vers un entretien d’embauche, vers l’art…
Comment êtes-vous arrivé dans les quartiers populaires ? Pourquoi est-ce important d’y mener des actions culturelles et artistiques ?
Je savais que le quartier La Vigne-aux-Roses allait vivre une rénovation urbaine. C’est un quartier qui m’interpelle, parce qu’il n’y a pas de commerces, uniquement des tours et des impasses. Une seule route y passe. Il y avait quelque chose à faire. Nous avons répondu à l’appel à projets. Ce qui m’intéresse, c’est la mémoire, les traces. Je voulais prendre le temps de collecter la parole, de suivre durant quatre ans les habitants et les travaux. On nous demandait aussi de développer le lien et l’action culturelle. Au début, nous avons expertisé le territoire et réfléchi à l’écriture d’un projet artistique. On a commencé à collecter la parole de gens, à tisser des liens. Il faut prendre le temps avant de sortir le micro. Certains n’ont pas envie de dévoiler leurs parcours de vie. Et puis un jour, ils s’ouvrent.
Pourquoi est-ce important ? Il faudrait leur demander. Personnellement, je pense que tendre le micro fait qu’on les considère. On vient les écouter et parfois cela permet simplement de sortir quelqu’un de sa solitude. Les témoignages sont parfois anonymes. Dans certaines communautés, le cadre familial et religieux n’autorise pas toujours cette parole. Je pense au sujet de la femme. C’est une forme de libération de la parole. J’ai réussi à avoir ces personnes-là. C’est important parce qu’on ne les rencontre jamais. Qui est allé à un mariage tchétchène, une fête traditionnelle chinoise, partager un mafé avec une famille sénégalaise ? Ce sont des populations que l’on connait très peu. On ne se rend pas compte en tant que français d’origine comme cela est dur, de devoir renouveler sans arrêt son titre de séjour, de vivre dans l’incertitude. En collectant leurs témoignages, j’ouvre une porte sur leur univers, pour tout un chacun.
Pouvez-vous nous présenter vos actions à La Vigne-Rose et ce qu’elles apportent aux habitants des quartiers ?
Nous avons réuni dans un film les témoignages d’habitants et les actions culturelles que nous portons depuis 4 ans. C’était un travail au long cours. À chaque fois, nos supports artistiques étaient une excuse pour demander : « parle-moi de ta vie ». Au début, on a proposé aux habitants de mettre un coup de frais à l’annexe de la maison de quartier. C’était le point de départ pour dynamiser cet espace où les gens ne venaient plus. Ensuite, on a travaillé sur l’image de la biodiversité dans le quartier avec une herboriste, pour prendre le temps de regarder ce qui pousse entre deux blocs de bitume. Puis on s’est intéressés à l’architecture, avec la photographie contemporaine. Apprendre à regarder son quartier autrement. Cela a donné lieu à une exposition photo à La Roche-Sur-Yon pour les Journée Europénnes du patrimoine.
À chaque fois, nos supports artistiques étaient une excuse pour demander : « parle-moi de ta vie »
Et puis il y a eu les projets de fresques. La plus grande représente le blason du quartier. Les habitants ont exprimé ce qu’ils voulaient voir figurer dedans. Ils nous ont dit que cela amenait un rayon de soleil dans le quartier. Nous avons sorti une gazette, traduite en plusieurs langues, car si l’on veut communiquer avec l’autre, c’est bien de parler sa langue. Un autre projet était de remettre la fête de quartier en place. Il n’y avait pas de volonté artistique, juste celle de créer un événement, encore un prétexte à la rencontre. Et on a vu descendre des publics qu’on ne voyait jamais, Maghreb, Tchétchénie, Afrique Centrale ! La troisième édition a lieu cette année, en 2024. Les habitants ont repris confiance en ce qu’ils sont, se sont rendu compte qu’eux aussi pouvaient réaliser un acte artistique, un évènement, se voir confier la gestion de la caisse du bar…
Y a-t-il eu des surprises, des inattendus dans ces rencontres, ces co-créations collectives et les restitutions ?
Dans un quartier, on nous demande de faire de l’écoute, de passer du temps. C’est beaucoup d’improvisation et de hasard. Ces projets, c’est l’école de l’imprévu ! Un exemple typique, un jour, on nous a demandé si on pouvait faire quelque chose sur un coffret des Télécoms au cœur du quartier. Ce n’était pas prévu dans notre action. On a dit oui. Stéphanie a amené les pinceaux, la peinture, et spontanément des habitantes l’ont rejointe et ont peint des symboles évoquant leur pays, tout en parlant de leurs vies. La peinture a un côté méditatif. On passe à travers toutes les nuances de l’être humain. Les impromptus, il y en a eu tellement ! À partir du moment où tu donnes de l’écoute à quelqu’un, il aura quelque chose à t’apprendre !
Quels seraient vos souhaits futurs pour l’épanouissement culturel et artistique des habitants des quartiers populaires ?
Nous allons bientôt sortir du quartier. Nous sommes devenus si proches qu’on fait partie du décor. Il faut laisser la place aux autres projets, aux autres artistes et envies. Je souhaiterais que le travail que nous avons initié avec les habitants soit repris par la maison de quartier. Comme quand on plante un arbre, il faut être présent encore quelques années pour qu’il grandisse. C’est crucial, quand la place est libre de veiller à ce qui va venir, que ce qui a été planté puisse pousser.
Propos recueillis par Marie Fidel